
ta inement des éloges, mais c’est, à to u t prendre, un enfant mal
élevé, dont les bonnes qualités natives ont été étouffées p a r une
extrême négligence.
Deux conclusions ressortent de cet ensemble de choses. La
première, c’est que la prospérité de l’habitant des villes est en
raison inverse de celle du nomade ; la seconde, que les gouvernements
réguliers accomplissent une oe uvre utile au pays quand
ils réduisent les Bédouins au seul rôle qui leu r convienne, celui
de conducteurs de troupeaux. On ne saurait sans péril leu r p e rmettre
d’acquérir une influence à laquelle ils n ’ont aucun droit
et dont ils ne manqueraient pas de faire mauvais usage.
Une foule d’assertions inexactes, de théories trompeuses ont
cours su r la nation arabe, en raison de l’ignorance où beaucoup
de personnes sont en Europe de ces données premières sans lesquelles
il est impossible d’avoir une juste idée de l’état de la Péninsule
; c’est pourquoi nous avons cru devoir profiter de notre
passage au milieu des Sherarat pour exposer les faits sous un
jo u r moins romanesque peut-être, mais plus réel. Notre témoignage
servira, nous l’espérons, à rectifier les erreurs répandues
par un grand nombre de poètes et d’écrivains, français surtout,
au sujet des fils du désert. La vérité porte toujours avec elle un
enseignement utile, e t nos observations peuvent d’ailleurs préserver
de plus d’un mécompte ceux qui ont des relations en
Arabie. Traiter avec un peuple dont on ignore les moeurs, 1 état
social, c’est lire un livre écrit dans une langue inconnue ; il n’en
p eu t résulter que des méprises fâcheuses et des actes dangereux.
Mon compagnon e t m oi, nous avions compris depuis longtemps
qu’au milieu des populations nomades, to u t effort se ra it inutile
pour rem p lir notre mission et atteindre le b u t de notre voyage.
Aussi soupirions-nous ardemment après les districts habités,
dont les Bédouins nous parlaient avec autant d’enthousiasme et
d’exagération qu’un paysan de l’île de Man pourrait en mettre à
décrire Londres ou Liverpool. Tout en faisant de prudentes r é serves
mentales, nous avions pourtant conclu de leurs récits que
les pays dans lesquels nous allions en tre r ne ressemblaient nullement
aux régions qui s’étendent entre Gaza et la province, de
Djowf.
Le 27 ju in , nous franchîmes, non sans peine, une chaîne de
petites collines abruptes e t sablonneuses qui ferment la vallée
de Serhan. Là, pour la première fois, nous vîmes le ghada,
arbrisseau particulier à la Péninsule arabique, e t vanté souvent
p a r ses poètes. Il appartient à la famille des euphorbes ; sa
tige ligneuse, qui s’élève à une hauteur de cinq ou six pieds,
porte d’innombrables rame aux, minces et flexibles, ddnt la
réunion forme une large touffe à l’aspect gracieux, e t dont la
teinte, d’un vert doux, repose agréablement la vue. Le voyageur
trouve sous ces arbustes une ombre rafraîchissante au milieu
'd u désert, et le chameau une n o u rritu re dont il est si
friand, que malgré son cavalier, il se détourne sans cesse pour
en saisir une bouchée au passage, tendant avec avidité son long
cou dans la direction où il aperçoit ce feuillage tentateur.
Souvent en Angleterre, j ’ai entendu citer le chameau comme
un modèle de douceur et de patience. Si docile signifie simplement
stupide, on a tout à fait raison, le chameau est la docilité
même. Mais si par ce m ot on entend que l’animal pren d intérêt
à son cavalier, qu’il comprend ses intentions et s’y associe dans
les limites de son intelligence, comme le cheval ou l ’éléphant,
le chameau alors n ’est nullement docile, to u t au contraire. Il
ne songe nullement à son maître, ne s’inquiète pas s’il est ou
non sur son dos ; quand une fois il se met en marche, il continue
à s’avancer de son pas m onotone, uniquement p arce qu’il est trop
borné pour avoir des caprices; mais si quelque verte pousse
l’attire hors de sa route, on ne le verra jamais, après avoir satis-
\ fait sa gourmandise, revenir de lui-méme dans la bonne direction.
Un violent coup de pied a seul le pouvoir de l’a rra c h e r à
l’objet de sa convoitise e t de le faire avancer. Tandis q u ’il che-
i mine avec son invariable allure gauche et au tom a tiq u e , il ne
I prend souci que d’une chose, traverser la plus grande étendue
possible de pâturage. Il n ’essayera jamais de vous je te r p ar te rre ,
I un semblable to u r est au-dessus de sa portée, mais si vous
I tombez, il n’a u ra pas l’idée de s’arrêter pour vous, il m a rch era
ft toujours du même pas, paissant çà e t là l’herbe qu’il ren co n tre ,
I sans se préoccuper de vous le moins du monde. S’il s’égare, il
■ y a mille à p a rie r contre u n qu’il ne sa u ra pas tro u v e r le che-
■ min' du logis, et se laissera emmener par le p remier v enu avec
I une parfaite indifférence. Peu lui importe d’ap p a rten ir à Je an ou
H à Pierre; le souvenir de son ancien maître et des chameaux ses
I compagnons n ’éveillera jamais en lui ni reg re t d’en ê tre séparé,