
taient, en servant nos desseins, avoir une part dans les profits
de 1 entreprise; ils se mirent sérieusement à l ’oeuvre pour nous
trouver des guides que, sans eux, nous nous serions difficilement
procurés, et toutes les difficultés qui menaçaient d’entraver
notre voyage disparurent ainsi. Revenons maintenant à notre
marche nocturne.
Plusieurs heures d une course rapide nous avaient amenés
déjà bien loin de Maan, et la brillante clarté de la lune disparaissait
lentement à l’horizon, quand nos guides s’a rrê tan t au
milieu d’une petite pelouse desséchée, échangèrent à demi voix
quelques paroles, firent agenouiller les chameaux pour les décharger
et les laissèrent paître en liberté l’herbe ra re et jau n ie ;
un homme de 1 escorte fut ensuite posté en sentinelle pendant
que nous prenions quelques instants de repos. Notre sommeil
devait être court; à peine les premiers rayons de l’aube avaient-
ils éclairé l’orient, que nous étions debout, prêts à continuer
notre voyage.
Le soleil se leva radieux, et pour la première fois, je fus témoin
d’une scène qui me devint ensuite familière, le culte matinal
que les Bédouins rendent à cet astre . Quand le disque lumineux
émergea de 1 horizon, les nomades, le visage tourné
vers l ’o rien t, commencèrent à réciter quelques formules d’invocation,
sans toutefois descendre de leurs chameaux, ni procéder
à aucune des ablutions prescrites p a r le rite mahomélan.
La prière, à laquelle ils répondaient l ’un après l’a u tr e , dura
ju sq u à ce que 1 orbe éc la tant eût apparu to u t entier. Avant
qu’ils eussent adopté le mahométisme, les Bédouins étaient
adorateurs du soleil ; la forme actuelle de leurs rites prouve
qu’ils le sont encore. En vain le prophète de l ’Hedjaz a-t-il proclamé,
en vain les docteurs de sa 'lo i ont-ils répété après lui,
que 1 a stre du jo u r se lève chaque matin entre les cornes du
diable e t que to u t fidèle croyant doit à cette heure éviter de se
mettre en prières, ca r son adoration s’adresserait directement à
1 Esprit des ténèbres, les nomades n’en ont pas moins continué
à suivre obstinément leurs anciennes coutumes.
L islamisme, pendant une durée de douze siècles, a exercé
fo rt peu d’influence, soit en bien, soit en mal, su r la population
erran te de l’Arabie; le Coran lui-même et des traditions
authentiques nous apprennent que la foi musulmane n’exerçait
pas une action plus puissante dans ce pays à l ’époque de son
premier établissement; non que les Bédouins éprouvent le
moindre éloignement pour leur compatriote inspiré, ou qu’ils
soient hostiles au dogme de l’unité divine, mais simplement
parce qu’ils sont incapables de recevoir ces influences sérieuses,
de se soumettre à ces croyances positives, à ce culte régulier,
qui ont donné aux habitants de l ’Hedjaz un caractère stable
et nettement accusé, de même que l ’empreinte d’un caciiet
se conserve dans la cire et ne laisse aucune trace dans l’eau.
« Vous êtes flottant comme Fonde, et vous ne croîtrez pas. » Cette
malédiction, adressée autrefois à Ruben, est tombée de tout
son poids sur les nomades de l’Arabie. Cependant, comme ils
sont entourés de musulmans sincères, dont ils dépendent plus
ou moins, ils se croient parfois obligés de se dire sectateurs de
Mahomet, de réciter même au besoin, les prières e t les versets
du Coran qu’ils ont pu réu ssir à fixer dans leu r mémoire. Le
même sentiment les pousse à cacher leurs croyances e t leurs
pratiques quand elles ne s’accordent pas avec la religion dominante
du pays; ainsi, dit-on, faisaient autrefois les Bohémiens
dans l’Europe chrétienne. C’est seulement dans le désert que,
libres de toute frayeur et de toute contrainte, ils arborent leurs
couleurs véritables; mais bien peu d’étrangers ont eu ju sq u ’ici
l ’occasion de les voir tels qu’ils sont réellement. Les Bédouins
de la Syrie, de l’Égypte et de la frontière de l’Hedjaz, ont cependant
reçu, il faut le reconnaître, une teinture de mah om étisme,
p ar suite de leurs fréquents rapports avec des populations
remplies de zèle p o u r l’islamisme. Il n ’est donc pas étonnant
que beaucoup de voyageurs, après.avoir parcouru ces contrées,
nous aient représenté les Bédouins comme ap p a rten an t à la foi
musulmane : assertion vraie seulement pour ce rtains pays, et
avec les réserves que nous venons de mentionner.
A distance, un paysage p a ra ît quelquefois to u t à fait u n i ; les
lignes et les couleurs se confondent dans une seule te in te vaporeuse
et grisâtre ; mais en approchant, on distingue des accidents
de te rra in , des nuances variées. La même observation
s'applique aux croyances religieuses. « Il n ’est pas d’illusion
plus grande que de croire à l’unité de l’Église chré tienne , » a
écrit quelque p a rt M. Finlay, le savant mais p a rtia l au teu r de
l’Empire byzantin. Je n ’entreprendrai pas de discuter cette as