
vénération religieuse. Les paysans nous accueillirent avec cordialité,
je dirais presque avec courtoisie, Un bon repas, des r a isins
magnifiques nous furent offerts par un brave homme, dont
la riante demeure me rappela les cottages de l ’Angleterre. Tous
les habitants témoignèrent un vif désir de recourir à notre
science médicale ; mais nous répondîmes que nous ne pouvions,
sans manquer aux convenances, donner de consultations avant
d’être arrivés à Hayel. Plusieurs promirent alors de venir nous
y trouver, et ils tin ren t parole, quoiqu’ils eussent vingt-quatre
milles à faire pour se rendre dans la capitale.
Nous nous levâmes de bonne heure. Notre chemin, battu et
bien tracé, côtoyait des rochers à pic, qui surgissaient au milieu
de la plaine unie et couverte de gazon; quelquefois nous nous
enfonçions dans des gorges profondes, quelquefois nous trav e rsions
des espaces découverts, apercevant au lojn des arbres, des
plantations, des villages. Le nombre des voyageurs augmentait
aussi à mesure que nous approchions d’Hayel. A midi, nous
prîmes quelques moments de repos dans un gros village appelé
Lakitah. Tout y respirait le bien-ê tre et la sécurité. Des arbres,
plantés nouvellement, des maisons récemment construites venaient
souvent égayer les yeux. Nulle p a rt on n’apercevait ces
ruines mélancoliques, si communes en Orient, surtout dans les
États soumis à la Porte-Ottomane. Le Djebel Shomer, comparé
aux provinces qui l’entourent, produit l’effet d une brillante
pièce d’or fabriquée fraîchement au milieu d’un monceau d’autres
pièces effacées et ternies. Il montre à quel degré de prospérité
l’Arabie au ra it pu parvenir sous un gouvernement meilleur;
et cependant cette province est peut-être la moins fertile du
plateau central.
Lakitah contient environ quatre cents maisons, ce qui porte
à peu près à deux mille quatre cents le nombre de ses habitants,
si nous comptons six ou sept personnes p ar habitation. Un peu
plus loin, su r le bord de la route, se trouve le village, plus important
encore, de Woseytah. Djedey y aurait volontiers fait
halte pour la n u it ; mais nous étions impatients d’arriver au
terme de notre voyage, e t nous déclarâmes résolûment que
nous ne prendrions de repos qu’à Hayel.
Nous étions au pied de la chaîne principale du Djebel Shomer,
à droite et à gauche s’élevaient des sommets rougeâtres et
bizarrement découpés. Devant nous, un étroit passage donnait
s e u l accès dans la plaine qui conduit à la capitale. Une armée,
pensais-je, aurait grand peine à forcer ce défilé ; cinquante
hommes suffiraient à.le défendre contre des milliers de soldats,
et nul autre chemin ne mène à Hayel du côté du nord. La ville,
située au coeur même de la montagne, était entièrement cachée
à nos regards par les énormes masses de rochers qui bordent
la route tortueuse. A p a rtir de Djobbah, la plaine s’élève graduellement
e t se resserre entre les pierres qui couvrent une
grande parlie du plateau central. De là, le nom de Nedjed ou
Haute-Terre, donné à ce pays p a r opposition aux provinces de
la côte. De là aussi, la coutume des Arabes d’employer le mot
talaa (monter), pour exprimer qu’un voyageur se ren d dans les
États du centre, tandis que « anhader » (descendre), s’applique à
celui qui, de l’inté rieur, se .dirige vers l’Yemen, l’Hasa ou
l’Oman.
Ce nom, le Nedjed, désigne d’ordinaire to u t l’espace compris
entre le Djebel-Shomer au nord, le grand désert au su d , le
Djebel-Toweyk à l’est, et la route des Pèlerins ou Derb-el-
Hadji, à l’ouest. Ce parallélogramme immense, placé diagonale-
ment au milieu de l’Arabie, du nord-est au sud-est, se partage
en deux grandes divisions : la Nedjed-el-Aala, ou Haut-Nedjed,
et le Nedjed-el- Owta, ou bas Nedjed. Le Djebel-Shomer est plutôt
une dépendance qu’une portion du Nedjed. Quant a u Djowf,
quoique les étrangers le comprennent souvent à to rt sous le
même nom générique, cette oasis isolée doit être considérée seulement
comme l’entrée, la porte de l’Arabie centrale, dont elle
ne fait nullement partie.
Les détails topographiques qui président, a id ero n t à rectifier
la nomenclature vicieuse généralement adoptée p o u r les cartes
de la Péninsule. Un nom n’a sans doute pas une grande importance
par lui-même, mais une erreur sur ce point fait n a ître
souvent bien des idées fausses, des appréciations inexactes.
Le soleil devait, pendant deux heures encore, éclairer l’horizon
lorsque, sortant de l ’étroit et tortueux défilé, nous nous
trouvâmes à l ’entrée d’une vaste plaine, bordée de chaque côté
p a r de hautes montagnes. Devant nous, à u n q u a rt d’heure de
marche, s’étendait la ville d’Hayel, avec ses remparts, ses tours
bastionnées, ses portes massives. Elle présentait le même aspect
i — 7