
coup lu force et l'influence du royaume nedjéen, négligeait la
véritable corde qui, sous des doigts habiles, au ra it pu vibrer en
sa faveur depuis les bords de la mer Rouge jusqu’à l’Océan In dien.
Quelques mots d’explication suffiront pour faire comprendre
ma pensée. Qu’on réunisse aux Bédouins les Wahabites, ou
du moins les h abitants de la Péninsule auxquels ce titre s’applique
justement, et l’on v erra qu’ils forment tout au plus un q u a rt
de la population arabe. Les trois autres quarts se composent de
citadins et de villageois, partisans enthousiastes de leurs chefs
locaux, et passionnés pour la liberté nationale, de patriotes en
un mot, qui détestent autant le brigandage des nomades que la
tyrannie wahabite. Ils gardent le culte de la gloire antique du
pays, de hauts faits bien plus anciens que les exploits modernes
d’Ebn-Saoud, e t auxquels le temps donne un prestige qui fait
pâlir ceux de Koreych lui-même. L’amour de l’ordre et du
commerce les a rendus ennemis de la turbulence nomade. Enfin
ils l’emportent su r leurs adversaires p a r le nombre autant que
par l ’importance, et c’est à eux, à eux seuls que sont confiées
les destinées de l’Arabie.
Cette vérité n’avait pas échappé au génie de Mahomet ; ce fut
en servant les intérêts d’une majorité puissante, qu’il parvint à
se l’attacher e t à étendre sa domination su r toute la Péninsule.
La tradition ne permet pas d’expliquer autrement sa conduite
e t le succès prodigieux dont elle fut accompagnée. S’il s’en était
ten u là , il aurait-été le plus grand bienfaiteur de sa patrie. Mais
le prophète gâta l’oeuvre commencée par l’homme d’Ëtat, et le
fatalisme énervant de son système religieux opposa pour jamais
un obstacle insurmontable aux progrès dont il avait été l’initiateur,
en faisant de l ’Arabie une seule nation, unie pour un but
commun. De plus, l’esprit étroit de ses préceptes poussa bientôt
ses compatriotes impatients e t expansifs à un soulèvement gén
éra l, qui éclata presque aussitôt après sa mort. La révolte, ré primée
p o u r un moment, se produisit b ientôt avec une nouvelle
violence, ju sq u ’à ce qu’enfin elle eût amené la désagrégation définitive
de l ’empire arabe.
Mais [si la règle inflexible de l’islamisme a semblé trop sévère
aux habitants de la P én in su le , s’ils ont brisé le joug de Mahomet
lui-même, ils aie courberont sans doute pas longtemps la
tê te sous celui des Wahabites. En ceci Abbas-Pacha s’était mépris
sur la tendance de l ’Arabie ; sa partialité pour le Nedjed
l’isolait du reste de la nation.
Les princes du Djebel-Shomer se mirent sagement à l’abri
des manoeuvres du vice-roi et attendirent des temps meilleurs.
Quand le meurtre d’Abbas fit monter Saïd-Pacha su r le trône,
Télal vit avec plaisir le nouveau souverain rechercher les alliances
européennes. Du côté de l’Occident, il avait to u t à gagner,
rien à craindre, et il le savait. En effet, les provinces
shomerites, entourées p ar l’immensité du désert, cachées au milieu
d’un labyrinthe de montagnes et de rochers, sans côtes à
défendre contre « les chiens de mer, * comme les Orientaux nous
appellent, ne sauraient redouter ni une invasion de la France,
ni une occupation de l’Angleterre, tandis que des relations avec
l’Europe pourraient leur procurer de grands avantages commerciaux
et industriels. Aussi les négociations avec l’Égypte, inte rrompues
pendant le règne d’Abbas-Pacha, furent-elles reprises
après sa mort. Mais la frivolité de Saïd ôta bientôt à Télal l ’espoir
de trouver auprès de lui une protection efficace contre l’hostilité
de la Turquie ou les envahissements du Nedjed; néanmoins, il
continue à entretenir avec le Caire de fréquents rapports et, dans
sa situation actuelle, 1 Egypte peut encore être regardée comme
son alliée la plus sûre.
J ai dit aussi que le roi du Djebel-Shomer avait grand soin de
conserver ses relations avec la Perse. Il est temps d’expliquer
quelles sont les raisons de Télal pour agir ainsi e t quel avantage
il peut attendre du bon vouloir d’un gouvernement aussi
décrépit que celui de Téhéran. Le mot de cette énigme se trouve
dans les conditions géographiques du pays. En je ta n t un coup
d’oeil su r la carte, on verra qu’une ligne, tirée du nord e t du
centre de la Perse à l’Hedjaz, coupe le Djebel-Shomer, qui se
trouve ju ste su r la route suivie p ar les Persans, dans leu r pèlerinage
à la Kaaba ou aux tombeaux de Médine.
Le passage de ces caravanes est une source considérable de
profits p o u r les villes où elles s’arrêtent : attirer ce courant an nuel
de voyageurs vers le coeur même de son royaume, l’amener
au x portes d’Hayel, telle est la grande préoccupation de Télal :
s il a tte in t ce b u t, non-seulement ses sujets en retireraient
directement de grands avantages, mais les relations commerciales
établies p a r le roi, avec les nombreux sectaires de Meshid