
sons de Belgrave-Square, touche à celui de Télal, avec lequel il
communique par une longue galerie, percée d’une rangée régulière
de fenêtres, auxquelles il manque seulement le cintre pour
faire penser à un cloître. Je suivis le nègre dans ce passage, et
arrivés à l’extrémité, nous parvînmes à l’entrée d’un khawah
où des épées et des chaussures amoncelées su r le sol annonçaient
la présence d’un grand nombre de visiteurs. Métaab aspirait
sans relâche les fortes vapeurs d’un narghilé; des personnages
de distinction étaient assis près de lu i, et de tous côtés s’élevaient
d’épais nuages, dont l’âcre parfum n’avait rien d’agréable.
Je fus accueilli en entrant p ar un salut cordial, et Métaab se
leva pour me tendre la main ouverte avec un geste à demi arabe,
à demi anglais. Tandis que le café circulait selon le cérémonial
accoutumé, notre hôte amena la conversation sur Bagdad, sur
les consuls de France et d’Angleterre, leurs chevaux, leur politique,
su r ce qu’il avait vu et en ten d u , afin d’essayer si cette
manoeuvre réussirait à me faire sortir de ma réserve. Mais
comme je n ’avais pas encore visité Bagdad à cette époque, je
n ’eus pas de peine à me taire et à montrer mon indifférence.
Métaab alors toucha une autre corde et parla de l’Égypte.
Cette fois, le cas était différent. Je désirais vivement connaître
les rapports qui existent entre le Djebel-Shomer et la vallée du
Nil ; je ne cherchai donc pas à cacher que j ’avais résidé au Caire.
L’ém ir, charmé d’avoir enfin en moi un auditeur a ttentif, s’étendit
longuement su r S aïd-Pacha et son voyage en Europe, sur
Abbas-Pacha et ses intrigues pour gagner les chefs arabes, enfin
sur la situation de son frère vis-à-vis du vice-roi aetuel.
Ces entretiens se renouvelèrent souvent, car chaque jour
Métaab me témoignait plus de confiance et d’amitié. J ’obtins
ainsi des détails curieux e t précis su r des faits qui « l ’avaient été
racontés d’une m anière fort vague, je veux dire les folles menées
d’Abbas-Pacha en Arabie. Ce prince avait formé l’ambitieux projet,
non-seulement de secouer toute dépendance envers la Porte
Ottomane, mais encore d’assujettir à ses lois la Péninsule entière
en s’appuyant au nord su r les Bédouins, au sud su r les
Wahabites. Afin de s’as su re r .la sympathie des trib u s nomades,
il envoya son fils aîné, encore enfant, à Feysul-ebn-Shaalan,
chef de la puissante tribu des Rualas, pour le faire élever, disait-il,
selon les antiques et p atriarcales coutumes de l’Arabie. Non content
de cet acte étrange, il distribua d’abondantes largesses aux
clans ; tout Bédouin qui approchait de son palais du Caire, éprouvait
aussi les effets de sa fastueuse libéralité, si l’on peut appeler
libéralité ce qui n’était, à vrai dire, qu’une profusion inutile. Le
vice-roi alla même jusqu’à copier les Bédouins dans ses vêtements
et dans ses manières, il revêtit leur costume, emprunta
leu r cuisine, vécut avec eux sur un pied de familiarité dégradante,
s’imaginant qu’il gagnait ainsi l ’affection des nomades.
On pourra it dire pour excuser les extravagances d’Abbas-Pacha,
que d’autres chefs auxquels on a ttrib u a it un plus grand discernement,
ne se sont pas moins grossièrement trompés sur l’importance
de ces tribus, et les avantages à re tire r de leu r alliance.
Mais ce qui rendait inexcusable l’e rreu r du prince égyptien, c’est
qu’il au ra it dû avoir présent à l’esprit l’exemple de son oncle
Ibrahim, dont la sage politique avait obtenu un si entier succès.
L’oubli des enseignements de l’histoire, des leçons de l’expérience,
est la faute la plus grave que puisse commettre un
homme d’État.
« Celui qui compte su r l ’appui des Bédouins ressemble à un
homme qui voudrait b â tir une maison à surface de l’eau, »
me disait à ce sujet Métaab, et il avait raison; des rapports fréquents
avec les nomades lui permettaient en effet de les bien
ju g e r, et ses arguments me paraissent m é riter une attention sérieuse
: « Les Bédouins, continuait-il, ne peuvent jo u e r qu’un
rôle très-secondaire dans une guerre importante et prolongée;
non-seulement ils sont dépourvus d’armes, incapables de discipline,
continuellement divisés p ar de misérables contestations
qui les empêchent d’agir dans un b u t commun, fût-ce seulement
pendant un mois, mais encore ils ont l’habitude de toujours
céder à l’impulsion du moment ; l ’heure présente parvient seule
à les émouvoir, ils ne tiennent compte ni des souvenirs de la
veille, ni des espérances du lendemain. Indifférents à to u t p rin cipe
religieux ou social, à to u t sentiment patriotique, ils sont
uniquement préoccupés de leurs mesquins intérêts personnels ;
jaloux les uns des autres, ils ne prennent souci, ni d e s 'c lan s
voisins, ni même des membres de leu r propre trib u . Amisaujour-
d’hui, ils seront ennemis demain, si l’appât du moindre profit
vient à les désunir. Lorsqu’ils se conduisent ainsi envers des
compatriotes, montreront-ils p o u r une nation étrangère plus de