
actuel est trop nouveau pour nous avoir changés. » Il ajouta cependant,
qu’après plus mûre réflexion, tous ses amis s étaient
félicités d’avoir préféré l’hospitalité au pillage ; mais ce second
mouvement, je le crains, avait sa source dans l’inté rêt personnel
bien plus que dans aucun principe moral.
En dépit de ce caractère sauvage, la générosité forme le tra it
distinctif des habitants du Djowf ; nulle p a rt en Arabie, l’étranger
n’est mieux traité, plus cordialement accueilli, à moins toutefois
qu’iln e so ittu é a v a n td ’êtrereçucommehôte.Lecourage aussi
est une de leurs v e rtu s;ils sont également prodigues de leur vie et
de celle du prochain. Laposition centrale de la province,comme
nous l’avons expliqué déjà, est très-favorable au commerce ;
mais les déserts qu’il fau t trav e rs e r p o u r se rendre dans le Djowf,
limitent nécessairement les transactions a certaines époques de
l ’année, c’est-à-dire l ’hiver et le printemps. La vente e t 1 achat
se font dans les maisons particulières ainsi que dans la boutique
de l’artisan. Ce système gênant a été maintenu ju sq u ’ici
p a r les chefs locaux des différents quartiers, pour lesquels il est
très-profitable; mais il se ra sans doute abandonné,, si 1 admi-
ministration actuelle gouverne le pays quelques années encore;.
La religion du Djowf, comme celle des autres habitants de la
Péninsule, offre de nombreuses anomalies. Ils avaient, depuis
p lu sieu rs siècles, abandonné la foi mahométane pour une sorte
de féchitisme local et de demi-sabéisme, quand les conquérants
wahabites, les obligèrent sous peine de mort, à recevoir l’islamisme
le plus p u r. Ils se soumirent aux pratiques du Coran,
to u t en g a rd an t au fond du coeur peu de sympathie pour le
Prophète.
Le lecteur a remarqué sans doute que ma relation ressemble
beaucoup au voyage qu’elle décrit; elle est pleine de digressions
et de détours. Qu’il me permette donc de m ’a rrê te r ici u n moment
p o u r étudier u n sujet important et curieux : la race arabe considérée
au point de vue des croyances religieuses. L’Arabie est
un e nation crédule, ce qui n ’implique pas qu’elle soit disposée à
s’imprégner fortement des notions d’une foi quelconque. En effet,
des hommes qui acceptent aveuglément des idées abstraites
souvent fo rt opposées, ne peuvent concilier ces dogmes contradictoires
que p a r une complète indifférence pratique. L A rabe,
livré à lui-même, tient pour également bonnes toutes les formes
de culte; il estime que la religion chrétienne ou la ju iv e n’est pas
moins vraie que l’islamisme et le paganisme; m ais aussi, il ne voit
aucune raison pour admettre une croyance plutôt qu’une au tre , et
il arrive à cette conclusion commode de ne suivre les préceptes
d’aucune. Non qu’il élève le moindre doute sur la mission divine
des six cents prophètes qui ont p a ru su r la te rre depuis Adam
ju sq u ’à Mahomet, seulement il regarderait sa soumission à l ’un
d’eux comme une violation du droit des autre s. Toute règle
d’ailleurs lui est importune ; les prières le fatiguent, les ablutions
lui semblent un usage gênant, et quant au jeû n e , il n’en
faut pas parler, surtout lorsque l’Arabe se trouve en présence
d ’un mouton bien gras ; mais à vrai dire son régime ordinaire
est un jeûne perpétuel et même un jeû n e rigoureux.
Comme il est facile de le prévoir, cette latitude immense
laissée à la foi religieuse amène avec elle sa conséquence p ra tique,
le scepticisme, l’habitude de préférer toujours le certain à
l'incertain, le présent à un avenir douteux.
Abandonnerai-je les plaisirs de la liqueur vermeille
Pour le lait et le miel qui coulent, dit-on, au paradis?
La vie, la mort, la résurrection, l’éternité,
Folies que tout cela !...
répètent les Arabes, après un de leurs poètes les plus populaires.
Toutefois, je le dis de nouveau, ils ne nient pas positivement
; ils rega rdent le doute comme « u n doux oreiller. »
Les Turcs sont, à le u r manière, un peuple religieux; lesMogols,
les h ab itan ts de B okhara, d Herat etduBeloutchistan le sont également,
j ’en suis convaincu. Mais, au risque de su rp ren d re g ra n dement
le lecteur, accoutumé sans doute à une opinion toute
contraire, je dois dire que les Arabes ne méritent nullement le
même éloge. S’ils avaient été seuls dépositaires des dogmes musulmans,
si les P ersans, les Mongols, les Turcs n’avaient pas conservé
l’oeuvre du Prophète, les disciples du Coran se ra ien t au jourd’hui
en bien p etit nombre.
Un peuple qui a le respect des grandes choses n’e s t pas nécessairement
u n peuple religieux. Peu de nations en Europe ont,
autant que l’Angleterre, fait de la religion le principal mobile,
de leurs actes, c’est une vérité reconnue p a r to u t le monde. Cependant,
l’Italien, l’Espagnol, le Grec sont, dans u n certain