
des doctrines de sa secte. Il ne ten ta jamaisde s’arroger, — modération
qui prouve la sincérité de son zèle, — aucune autorité
politique; évitant de prendre une p a rt directe aux affaires de
l’État, il mourut environné du respect de tous et fut enseveli
avec de grands honneurs. Son petit-fils, Abder-Rahman, existe
encore à Riad, où je l’ai vu plusieurs fois ; enfin son arrière-petit-
fils, Abdel Latif, remplit dans la capitale nedjéenne les fonctions
de cadi, et j ’aurai plus tard occasion de le présenter au lecteur.
La famille d’Abdel-Wahab a toujours occupé dans l’empire
wahabite les postes religieux et judiciaires les plus importants ;
elle possède aujourd’hui d’immenses richesses qui, — je veuxle
croire charitablement, — ont été acquises par des moyens honnêtes.
Ses membres, quoiqu’ils n ’aient pas jugé à propos d’imiter
la modestie et la simplicité de leur illustre ancêtre, exercent une
influence considérable; sans revêtir jamais aucune autorité
civile ou militaire, ils sont en réalité les souverains du pays; le
roi lui-même n’oserait les contredire, entreprendre une guerre
ou contracter une alliance avant de les avoir consultés.
La plus grande partie de ces détails nous fut donnée p ar notre
hôteBitah. La conversation s’éta it prolongée fort avant dans la
nuit, et le Naïb nous avait quittés depuis longtemps pour se livrer
au repos, que nous prêtions encore l’oreille aux récits p assionnés
du gouverneur. Comme la p lu p a rt desNedjéens, il joignait
une éloquence naturelle à une grande pureté de langage;
aussi Barakat lui-même fut-il obligé de convenir que le dialecte
de Damas ou de Zahleh mérite à peine le nom d’arabe, si on le
compare à l’idiome élégant et correct de l’Arabie centrale.
Le lendemain matin, nous nous remîmes en marche, escortés,
p ar les serviteurs de Bitah, qui devaient nous conduire aux
frontières de la province. Elles étaient situées, du reste, à peu
de distance; longtemps avant midi, nous entrions dans une
plaine blanchâtre e t marneuse, près de laquelle est située la
petite ville de Sedous qui forme la limite septentrionale de
l’Ared. La route en forme de spirale que nous avions suiviejus-
qu’alors faisait ici plaoe à un étroit sentier, taillé presque à pic
dans la montagne, e t sur lequel nos chameaux pouvaient à
peine poser le pied. Enfin nous atteignîmes un plateau fort élevé
mais couvert d’une végétation abondante, où l ’horizon, limité
à l ’est p a r la chaîne du Toweyk, nous offrait à l ’ouest et au sud
une perspective assez étendue. La marche de la journée devait
être longue, nous poussions silencieusement nos montures, et
l’après-midi s’avançait quand nous nous arrêtâmes à 1 ombre
d’un petit bois pour p rép a re r notre repas, si l’on peut donner
ce nom aux maigres aliments qui composent la n o u rritu re d un
voyageur arabe. Avant le coucher du soleil nous arrivâmes cependant
à l’extrémité méridionale du plateau, que nous continuâmes
à côtoyer pendant une demi-heure environ. La Wadi
Hanifah étalait à nos pieds ses sombres profondeurs; la descente
était longue et difficile, mais au pied de la pente escarpée, un
énorme rocher abritait un lac limpide dont la vue nous fit
pousser une exclamation de joie, car la journée avait été chaude
et nous n’avions rencontré, depuis Sedous, ni puits, ni fontaine.
Nous suivîmes la vallée dans la direction du sud-ouest. Les
ombres de la nu it commençaient à envelopper la campagne,
lorsque nous aperçûmes les ruines d’Eyanah. Sur une longueur
d’une lieue, le sol était jonché de murs écroulés, de troncs d'arbres
abattus, de monceaux de décombres ma rquant la place où
s’élevaient autrefois de hautes tours et d’orgueilleux palais ;
l’ithel sauvage remplaçait le riche palmier, et les puits desséchés,
les citernes remplies de poussière ajoutaient à la désolation
du paysage. Je ne m’étonnai plus que les Arabes a ttrib u en t
à la malédiction d’ùne veuve ces ruines étranges marquées, a u ta
n t que celles de Ninive et de Ctésiphon, du sceau de la vengeance
divine. Ibrahim-Pacha, frappé de la position avantageuse
de la ville, e t désireux de eontre-balancer l’influence de
Dereyah en lui donnant une rivale, te n ta de relever Eyanah; il
fit venir un grand nombre d’ouvriers, dirigea lui-même l ’entreprise;
to u t fut inutile; l’anathème demeura plus fort que son
génie, et il dut abandonner à la solitude la ville privée d’eau et
maintenant frappée de mort.
La largeur moyenne de la Wadi-Hanifah est d’environ une lieue;
couverte d’arbres et de taillis, elle renferme d’innombrables cavernes,
d’où p a rten t les hurlements sinistres des hyènes e t des
loups; on voit aussi des troupeaux de daims bondir su r les rocs
qui bordent la côte escarpée. Pour ne pas allonger n otre route
en suivant les sinuosités de la vallée principale, nous prîmes,
non sans craindre de nous égarer au milieu des ténèbres, une
ramification de la Wadi-Hanifah qui conduisait plus directe