
humeur, plaça ma main dans sa main droite, celle de mon compagnon
dans sa main gauche et sortit avec nous de la cour,
tandis que son escorte formait autour de lui une muraille vivante.
Il était fermement convaincu de notre origine syrienne, mais
il supposait avec raison que l’amour de la médecine ne nous
avait pas seul poussés à entreprendre un aussi périlleux voyage.
Toutefois, moins heureux dans l’interprétation des motifs qui
nous amenaient à Hayel, il s’imagina que notre but réel était
d’acheter des chevaux pour quelque gouvernement étranger, et
cette conjecture ne manquait pas d’une certaine vraisemblance.
Quoi qu’il en soit, Télal prit la résolution de favoriser nos desseins
et de nous faire faire un marché avantageux.
Il entama, d’un ton enjoué, une série de questions au tra vers
desquelles perçaient son estime et sa bienveillance. Pour
nous, fidèles à notre plan, nous nous étendîmes sur notre profession
médicale, nous parlâmes de noire famille qui était dans
le besoin, de nos espérances de succès, grâce au patronage
royal, etc. Mais Télal tenait à son premier jugement, et ne
se laissait pas si facilement dérouter. Pendant ce temps, nous
avions traversé la rue bordée de spectateurs, et nous étions
arrivés à la porte d’une grande maison, près de l’extrémité du
souk, ou place du marché ; elle appartenait à Hasan, négociant
de Meshid-Ali.
Trois des hommes de l’escorte demeurèrent près du seuil,
l’épée à la main. Nous traversâmes la cour où le reste des gardes se
rangea en bon ordre, tandis que nous nous rendions au khawah.
La pièce était petite, mais bien meublée et garnie de tapis confortables.
Télal nous fit asseoir auprès de lui à la place d’honneur
; son frère Mohammed et cinq ou six autres grands dignitaires
entrèrent seuls avec nous; quant au maître de.la maison,
il en faisait de son mieux les honneurs à son hôte royal.
Le café fut servi et les pipes allumées. Ebn-Raschid, qui voulait
profiter de l’abandon d’un entretien familier pour mieux
sonder nos desseins, jetait adroitement dans la conversation des
remarques insidieuses, tantôt sur la Syrie, tantôt sur l’Égypte,
sur les tribus de l’Hedjaz ou sur les rives de l’Euphrate; il
aborda ensuite la médecine, sans doute pour voir si nous avions
le docte langage des disciples d’Esculape ; puis il parla de chevaux,
d’équitation, et j ’affectai une ignorance bien peu excusable
chez un Anglais, mais je me propose plus tard de me réhabiliter
dans l’opinion de més lecteurs. Tous les efforts du roi furent
inutiles; au bout d’une heure, notre noble ami était plus éloigné
que jamais de découvrir là vérité. Il sentit qu’il faisait fausse
ro u te , et résolut de laisser au temps le soin d’éclaircir le mystère
qui nous enveloppait. Toutefois, comme nos manières n ’a vaient
rien de suspect, il nous assura de son entière confiance, et
nous offrit même un logement dans les dépendances du château.
Nous déclinâmes sa proposition bienveillante, car nous voulions
connaître le pays tel qu’il est réellement, et non pas l’étudier
au travers de l’atmosphère trompeuse d’une cour; nous demandâmes
donc à Telal de nous assigner une demeure aussi rapprochée
que possible de la place du marché, ce à quoi il consentit
de bonne grâce, bien qu’évidemment fort surpris de nos allures
indépendantes.
On nous apporta d’excellents melons d’eau, découpés et pelés,
ainsi que des pêches, qui étaient encore fort rares, car la saison
commençait à peine. Quand la collation eut été partagée entre
les convives, le roi se retira en nous renouvelant l’assurance de
son patronage et nous fit reconduire à notre logis par un homme
de son escorte.
Le jour même, Seyfnous annonça qu’il avail loué pour nous
une maison située dans une rue aboutissant au marché, et en
même temps peu éloignée du château. Elle se composait de deux
pièces, séparées par une cour et couvertes d’une toiture plate
qu’entourait une balustrade fort-élevée. L’une d’elles devait
nous servir de magasin et de cuisine, l’autre, de salle de réception
; une chambre à coucher eût été un luxe inutile, car nous
étions au moment des grandes chaleurs, et nous ne pouvions
mieux faire que de dormir à l’air libre sur la terrasse. Toutes
les portes étaient pourvues de serrures et de clefs en fer; sous ce
rapport, Hayel l’emporte sur la plupart des villes arabes, où
l’on se sert invariablement de clefs en bois. Notre future habitation
appartenait à un officier du palais, nommé Hoseyn-el-Misri,
q u i, à la requête de Seyf, avait consenti à se retirer dans une
maison du voisinage.
Avant la tombée de la n u it, nous transportâmes à ce nouveau
domicile nos bagages et notre pharmacopée; puis, nous prîmes
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