
ralement aux Arabes une crainte très-motivée ; peu de voyageurs
se hasardent dans ce pays, bien moins encore en reviennent.
« Hada Nedjed men dakhelaha fma kharadj, » (celui
qui entre dans le Nedjed n’en sort jamais), me disait un vieux
Khasimite ; et en effet les montagnes voisines de Riad, repaires
autrefois de brigands et d’assassins, offrent aujourd’hui plus
de dangers encore, puisqu’elles sont au pouvoir de fanatiques
qui appellent infidèles tous les autres peuples, et qui regardent
le meurtre d’un hérétique, sinon comme un devoir, au
moins comme une oeuvre de piété. Enfin l’esprit belliqueux
des Wahabites, leurs agressions continuelles, leur insupportable
tyrannie ont excité contre eux une haine profonde, et les
Arabes, à quelque nation qu’ils appartiennent, habitants du
Shomer ou de La Mecque, du Djowf ou de l’Yémen, ne se risquent
pas sur les plateaux du Toweyk sans y être impérieusement
obligés.
D’autres difficultés se joignaient à celles-là pour rendre nos
recherches stériles et notre voyage périlleux. La guerre éclatait
alors dans toute sa fureur; dirigée nominalement contre
Oneyzah, elle l’était en réalité contre la province entière, tous
les Kasimites ayant, soit ouvertement, soit au fond du coeur,
épousé la cause de la ville assiégée. Bereydah elle-même, en
dépit de la présence de Mohanna et de ses satellites, en dépit
des forces nedjéennes campées sous ses m u rs, menaçait de
lever l’étendard de la révolte. Chacun faisait des voeux ardents
en faveur de Zamil, se réjouissait de ses succès, s’inquiétait de
ses revers. Le gouverneur wahabite n’ignorait pas l’état des
esprits, il n’ignorait pas non plus que des députations parties
secrètement de Rass, d’Henakyah, de Bereydah, s’étaient
rendues à La Mecque et dans le Djebel-Shomer, afin de solliciter
des secours pour Oneyzah. Aussi les Kasimites, qui
n’avaient jamais été en odeur de sainteté parmi les Nedjéens,
étaient devenus à leurs yeux les plus haïssables de tous les
infidèles.
Ce n’est pas tout encore. En supposant que notre véritable
nationalité ne fût pas découverte, nous passions pour des
Syriens, c’est-à-dire des habitants d’un pays considéré par les
Wahabites comme un foyer d’idolâtrie et de paganisme. Si
l’on ne nous soupçonnait pas d’être les espions d’un gouvernement
chrétien, on nous accuserait sans doute d’être ceux de
la Turquie, ce qui n’est pas un moindre crime. En un mot,
conduire dans la Terre des Saints des voyageurs aussi suspects,
exposait les guides à éprouver le même sort que le paon de la
tradition mahométane q u i, ayant ouvert à Satan la porte du
Paradis, partagea la punition de l’esprit des ténèbres.
Nous restions donc dans le statu quo et nous ne voyions aucun
moyen d’en sortir; de tous côtés s’élevaient autour de nous
d’infranchissables barrières ; cinq jours de tentatives infructueuses
nous avaient convaincus que chercher un guide pour
nous rendre au Nedjed, c’était, selon le proverbe arabe, « vouloir
dénicher des oeufs à’anka, » — l’anka est une sorte de phénix
oriental. — Nous étions cependant résolus à surmonter ces obstacles,
et nous' remarquions avec un secret soulagement que
nous n’excitions pas à Bereydah l’inquiétante curiosité dont nous
avions été l’objet dans les autres villes arabes. La guerre absorbant
tous les esprits, personne ne songeait à s’occuper de nous,
d’autant plus que nous n’avions pas éveillé l’attention par le
déploiement de notre science médicale ; en vérité, l’anneau de
Gygès aurait fait bien mieux notre affaire que les philtres d’Hip-
pocrate, et plus d’une fois, pendant mon voyage, je souhaitai de
l’avoir à.ma disposition.
Enfin la Providence nous vint en aide et, comme il arrive souvent,
nous trouvâmes du secours où nous en attendions le moins.
L’heureuse circonstance qui nous permit de visiter le Nedjed,
modifia en même temps le reste de notre itinéraire, car une
rencontre, fortuite en apparence, nous fournit l’occasion de
visiter l’Oman et de revenir à Bagdad par la côte orientale de
l’Arabie.
Six jours après notre arrivée, j ’étais tristement assis dans le
khawah, cherchant à tromper mon ennui par la lecture du Divan
d ’Ebn-el-Farid, admirable auteur, compagnon favori de mes
voyages. A ma prière, Barakat s’était rendu hors de la ville,
moins dans l’espoir de trouver enfin un guide que, « pour marcher
sans but dans le vaste monde. => Je n’attendais pas non plus
grand résultat de sa promenade ; que l’on juge donc de ma surprise
quand, vers midi, je le vis revenir avec un visage rayonnant,
présage certain de bonnes nouvelles.
Elles étaient bonnes en effet, elles ne pouvaient même être