
Télal et obtenu son affranchissement. Un riche négociant du
Shomer l’avait chargé de vendre quatre beaux chevaux, et
Ghorra, to u t joyeux de sa nouvelle dignité d’homme libre et de
maquignon, dansait, chantait, faisait ta n t de folies, débitait tant
d’absurdes mensonges, qu’il excita plus d’une fois l’indignation
de nos graves Arabes. Il quitta la caravane à Bereydah, mais
nous le retrouvâmes à Riad où il nous avait précédés de quelques
jours. Il avait, du reste, bien employé son temps, et passait déjà
pour le plus grand menteur qu’on eût jamais vu dans la capitale
du Nedjed, ce qui, à tout p rendre, n ’était pas une mince distinction.
Peut-être le lecteur est-il désireux d’avoir quelques détails sur
le commerce des chevaux entre l’Inde et l’Arabie. J ’aurai occasion
de satisfaire amplement sa curiosité quand nous serons
arrivés sur la côte orientale ; je me bornerai maintenant à dire
que les chevaux envoyés à Bombay sont presque tous embarqués
à Koweit, petit port maritime qui, depuis quelques années,
prend une grande importance. Les nobles animaux, si re cherchés
dans l ’Inde, viennent presque tous du désert syrien
ou des provinces septentrionales de l ’Arabie ; ils sont de haute
race, et souvent d’une beauté admirable, quoique inférieurs en-
o re 'à ceux du Nedjed, comme nous le verrons plus tard.
La route que nous suivions traversait, tantôt des rochers de
granit, tantôt des vallées fertiles ; au coucher du soleil, nous
nous arrêtâmes au pied d’un pic fort élevé, qui termine la chaîne
méridionale du Djebel-Adja ou Djebel-Shomer. La montagne
s ’étend fort loin à l’est et à l’ouest, mais elle s’ouvre au midi
pour laisser apercevoir une plaine longue de vingt milles, et
bornée par les sierras bleuâtres du Djebel-Solma, chaînes qui
courent parallèlement à celles du Shomer et appartiennent au
même système géologique. Le Solma cependant a une longueur et
une h auteur moindres ; ses sommets les plus élevés ne dépassent
pas sept ou h u it cents pieds, tandis que les pics de l ’Adja
atteignent une h au teu r de quatorze cents pieds. En o u tre , il se
prolonge beaucoup moins vers l’est, en sorte que notre itiné -
raire, qui trave rsait le Djebel-Shomer presque en droite ligne,
coupa it le Djebel-Adja p a rle milieu et côtoyait l’extrémité orientale
du Solma.
A l’endroit où nous avions fait halte, coulait une source limpide
appelée par les habitants Nebbadjah ou Fontaine jaillissante.
La lu n e , qui éclairait la vaste plaine, lui donnait l ’apparence
d’une mer tranquille; nous nous mîmes en devoir d’allumer le
feu et de préparer le souper, opération fort simple, car nous
n’avions pour tous mets que du pain sans le v a in , arrosé d’une
tasse de café. Nous avions aussi emporté quelques dattes sèches,
seules provisions qui, dans ce climat, puissent supporter la chaleur
du jo u r. Nous étions cependant au mois de septembre,
mais l’automne de l’Arabie ne ressemble nullement à celui de la
France ou de l’Angleterre.
Dès que nous eûmes fumé une pipe et terminé notre maigre
repas, nous repartîmes à la clarté des étoiles et nous continuâmes
à marcher jusqu’à l’aube. Nous étions dans la plaine, et
les rayons trompeurs de la lune, trop faibles pour nous permettre
d’apercevoir distinctement les montagnes qui s’élevaient
devant nous, produisaient une illusion singulière; il nous semblait
que nous étions au milieu d’un immense lac de lait, sur
lequel se détachaient les buissons comme au tan t de petites îles
de verdure. Le sol est ici formé de te rre végétale mélangée de
sable; il offre aux troupeaux d’assez bons pâturages, mais il
fournit rarement assez d’eau pour qu’une bourgade puisse s’y
former. Enfin, épuisés de fatigue, et chancelants comme des
gens ivres, ta n t nous étions accablés de sommeil, nous descendîmes
de nos chameaux pour nous reposer quelques heures.
La plus grande partie du jo u r suivant fut employée à trav e rser
la plaine; nous marchions rapidement, car nos guides
avaient hâte de se trouver à l’abri d’un péril que leu r longue
expérience leu r avait appris à craindre.
La longue vallée que nous franchissions sépare le Solma de
l’Adja; elle s’étend à l’ouest jusque dans le voisinage de Médine,
et va joindre un peu au-dessous dë cette ville la grande route
des Pèlerins. Or, cette partie de l’Hedjaz a toujours été infestée
p ar les bandes rapaces de la trib u de Harbs qui, au mépris des
autorités ottomanes, pillent souvent des caravanes entières.
Les défilés des montagnes offrent aux maraudeurs une sûre
retraite contre les poursuites des gouvernements a ra b e s , dont
ils redoutent beaucoup plus la vigilance qu’ils ne craignent les
baïonnettes de Gonstantinople. Ces mêmes Bédouins, non contents
du butin enlevé dans l’Hedjaz, remontent parfois la vallée