
tie n c e e t courtoisie les attaques les plus passionnées; c’est à ce
signe qu’on reconnaît, suivant eux, l ’esprit véritablement supérie
u r. Jamais je n’avais vu mieux suivi le conseil de Chester-
field : « Fermez l’oreille aux propos injurieux, à moins qu’ils
« ne vous donnent le droit de plonger votre épée dans le sein de
« l’insulteur. » Les habitants du Sedeyr comprennent que le
respect de soi-même est l a , marque essentielle d’une bonne
éducation. Leurs manières sont graves e t dignes ; leur politesse
délicate et minutieuse.
Ces mêmes hommes qui, au fond de leur âme, considèrent
l'Egypte, la Syrie, Bagdad, Damas, tous les pays enfin, sauf le
Nedjed, comme des repaires de voleurs, des foyers d’hérésie,
commencent, dès qu’ils abordent un étranger venu de ces ré gions
maudites, à en faire un pompeux éloge. Ils vantent la
science, la piété, les vertus de peuples contre lesquels ils seront
prêts demain à tir e r le glaive de l ’islam. En s’exprimant ainsi,
Ils ont un air si convaincu, si parfaitement na tu re l qu’il est difficile
de ne pas croire à leurs paroles; de même, jamais un hôte
ne p o u rra s’apercevoir qu’ils blâment ses opinions ou sa conduite
: Eddeyf ma akam metïli (Tant que l’hôte habite la maison,
il en est le seigneur), d it un adage populaire, qui montre avec
quelle déférence les Nedjéens tra iten t d’ordinaire quiconque a
une fois été admis sous le u r toit. L’étranger peut se promener
librement dans les ru e s sans être l’objet d’une indiscrète curiosité;
les enfants même ne se rassemblent pas autour de lui; p e rsonne
quand il passe ne rit ou ne chuchote à l’oreille de son
voisin. Je dois ajouter que n otre costume syrien n e paraissait
pas moins biz arre au milieu des villes du Nedjed que la longue
robe d’un ju if polonais ou les fourrures d’un Cosaque su r les
places publiques de Cambridge ou de Derby. Mais la politesse
nedjéenne est supérieure à de semblables considérations. Le
Sedeyr, du reste, l’emporte su r toutes les provinces du Toweyk
pour la courtoisie et l’hospitalité; il faudra donc rab a ttre quelque
chose de ce qui vient d’être d it quand nous serons arrivés
dans l’Ared et l’Yemanah; enfin ces égards s’attachent seulement
aux hôtes reçus et reconnus comme tels ; des étrangers
dont la position ne serait pas dûment constatée n’auraient à atten
d re que froideur e t malveillance.
Après avoir p ris le café dans le khawah, nous montâmes à l’étage
supérieur, où l ’on avait préparé pour nous recevoir une
vaste pièce ornée d’une verandah ; des dattes, des melons, des
pêches de l’aspect le plus appétissant, remplissaient de grands
plats faits en écorce délicatement travaillée. Nous étions là chez
nous, nous aurions même pu y allumer « le calumet de paix, »
sans causer de scandale, car le maître de la maison n’est pas
responsable de ce qui se passe dans l’appartement de son hôte.
L’escorle que Mohanna nous avait donnée, nous quitta dans
le village de Ghât pour reto u rn er à Bereydah. Des voyageurs
fi wedj Feysul (placés sous la protection spéciale de Feysul)
n’avaient rien à craindre dans le Nedjed; d’ailleurs nous étions
sûrs d’être accompagnés d’une ville à l ’autre p ar les habitants
des localités que nous traversions. Cet honneur s’adressait, non
à nos chétives personnes, mais au Naïb, car pendant cette p artie
de notre voyage, nous eûmes le bonheur d’attire r fort peu
l’attention.
Nous devions p a rtir le lendemain de grand matin : au moment
où chacun de nous montait l’un son dromadaire, l’autre
son chameau, nous aperçûmes le chef qui, accompagné de p lu sieurs
jeunes gens, était déjà en selle p rê t à nous escorter. Nous
suivîmes d’abord un chemin montant, abrité par des arbres
dont l’épais feuillage laissait parfois entrevoir les blancs ro chers
qu’éclairaient les premières lueurs de l’aube. Au bout
d’une d em i-h e u r e , nous arrivâmes à l’akabah, c’est-à-dire au
sentier en forme de spirale, sans lequel la montagne escarpée
serait to u t au plus accessible aux chèvres. Ces akabah sont fort
nombreux dans le Toweyk; pour les distinguer les uns des au
très, les Arabes y joignent le nom de la localité la plus v oisine,
ainsi, celui dans lequel nous allions en tre r s’appelle « Akabah-el-
Ghât. »
Semblable à un ruban de satin blanc, le chemin, déroulant
ses sinuosités au milieu des rocs calcaires mélangés de grès
et de marne, conduit au plateau supérieur, dont l’élévation
est d’environ sept cents pieds ; non loin de l à , un étang b o u rbeux
indique l’endroit o ù , pendant la saison des p lu ie s , se
précipite un impétueux courant. Le chef voulait nous accompagner
dans notre fatigante ascension ; Abou-Eysa insistait pour
qu’il re to u rn â t dans sa demeure. Il s’en suivit une contestation
amicale, durant laquelle les Persans gardèrent un silence dédaii
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