
Absorbés p ar leurs discordes in té rieu re s, les malheureux
Djowfites laissaient les Bédouins ravager leur territoire ; la puissante
trib u des Rualas, dont les campements d’été s’étendent
ju sq u ’en Syrie, et qui en hive r, mène ses troupeaux dans les
pâturages de l’Arabie centrale, exerça contre la province de telles
déprédations que les habitants effrayés consentirent à lui payer
u n trib u t an n u e l, déguisé sous le nom de khouwah (redevance
fraternelle); à peu près comme, en Écosse, les Lowlanders
payaient autrefois la blackmail aux clans montagnards pour se
préserver de leurs violences et de leurs brigandages.
Vers la même époque, Abdallah-ebn-Rashid, père de Télal,
fondait le royaume de Djebel-Shomer. Les querelles des différents
chefs lui fournirent un prétexte pour intervenir dans les affaires
du Djowf, dont il convoitait la possession. Quand il jugea le
moment favorable, il envoya dans ce pays son frère Obeyd avec
une armée suffisante pour le soumettre. Mais soit q u ’Obeyd ne
se sentît pas assez fort pour garde r sa conquête, soit par tout
au tre motif, il se contenta de rég le r les différends, de pacifier
les factions; il choisit un des membres de la famille Haboub
pour gouverner la province au nom d A bdallah, engagea le
peuple à suivre plus fidèlement les préceptes de l’islamisme et se
re tira , non sans avoir toutefois prélevé u n trib u t considérable.
Les discordes civiles, que le danger commun avait fait oublier
u n instant, se rallumèrent bientôt avec une nouvelle fureur.
Après la mort du chef nommé par Obeyd, la famille des Haboub
se partagea en deux factions hostiles qui se disputèrent le pouvoir
; à la tête de l’une d’elle se trouvait u n homme rem u an t et
ambitieux, notre hôte Ghafil. Abdallah-ebn-Rashid venait d’être
remplacé su r le trône de Djébel-Shomer par son fils aîné Télal,
prince non moins habile dans 1 a rt de la g u e rre , et infiniment
plus versé dans la science de la diplomatie. Ghafil et son p arti,
vaincus dans une dernière lutte, eurent l ’imprudence de l ’appele
r à le u r aide. Ceci se passait en 1855. Rien ne pouvait mieux
servir les projets de Télal; il flatta les réfugiés p a r des promesses
, réu n it des troupes nombreuses qu’il renforça de quelques
pièces d’artillerie, puis marcha en personne vers le Djowf.
Il établit son camp à quelque distance de la capitale, et fit aux
habitants des propositions réitérées de paix et de conciliation,
affectant une grande répugnance pour l’arbitrage du glaive.
Les Haboub, confiants dans les épaisses murailles de leurs citadelles,
méprisaient la pusillanimité apparente de Télal. Ils refusèrent
tout arrangement. Le roi de Djebel-Shomer commença
donc les hostilités, mais il se borna d’abord à de simples escarmouches
destinées uniquement à fatiguer l’ennemi, et il garda
son principal corps d’armée pour le moment décisif. Cette ruse
fut couronnée de succès; les Djowfites enhardis offrirent la bataille
que Télal eut la sagesse de refuser plusieurs fois. Enfin,
un jour, le momentlui parut venu de l’accepter; un épais brouillard
d’automne, bien rare sous le ciel d’Arabie, cachait aux assiégés
ses troupes de réserve ; les charges de la cavalerie attirèrent
au dehors les défenseurs de la ville, et quand l’affaire fut
engagée, l’habile prince amena ses canons, vieilles et lourdes
machines, mais qui dans ce pays étaient des engins de guerre
formidables. Les remparts de la forteresse, qui n’avaient pas été
construits pour résister à de telles attaques, tombèrent sous les
coups des boulets; la panique se mit dans les rangs des Djowfites
: c’était ce que Télal attendait; il jeta son armée entière
sur les troupes de l’ennemi, et en un instant la déroute fut complète.
Les vaincus rentrèrent en désordre dans la ville, poursuivis
par les vainqueurs, qui en firent un grand carnage ; la citadelle
fut emportée d’assaut, et le Djowf conquis avant midi.
Télal donna aussitôt Tordre de détruire les tourelles et les
habitations appartenant à la faction hostile des Haboub, tous les
chefs qui survivaient aux désastres de la guerre furent condamnés
à un exil lointain; le roi, malgré les sollicitations pressantes
de leurs parents et de leurs amis, n’a encore permis à aucun
d’eux de revenir à Djowf. Ghafil comptait être nommé gouverneur,
mais le conquérant avait résolu de réduire complètement
le pays sous son obéissance; pour cela, il était indispensable
de changer la forme et le système de l’administration. H confia
le pouvoir à un de ses officiers, nommé Hamoud, et priva les
chefs locaux, Ghafil aussi bien que les autres, des derniers vestiges
d’autorité qui leur restaient encore ; trois nobles habitants
d’Hayel, amis dévoués de Télal, composèrent un conseil chargé
d’assister, et au besoin, de contrôler le nouveau gouverneur;
enfin quelques hommes d’élite, choisis parmi le peuple de
Djowf, formèrent une sorte de garde d’honneur, qu’Hamoud
devait armer et entretenir à ses frais. Toutes choses étant ainsi