
les jardins ; du reste, on n ’aperçoit autour du village, ni fortifications,
ni fossés ; la demeure du chef ne se distingue même par
aucun signe extérieur des maisons voisines; elle est seulement
un peu plus spacieuse. P lusieurs bourgades nouvelles se sont formées
dans les environs de Feyd, depuis que le pays, ayant été
annexé au Shomer, jo u it d’une sécurité qui lui était inconnue
sous ses maîtres w ahabites.
Notre souper ne fut pas succulent, car les Solibah sont p auvre s,
mais une longue marche avait aiguisé notre appétit, et la grossièreté
des mets ne nous empêcha pas d’y faire honneur. J aurais
vivement souhaité d’apprendre, de la bouche m ême de nos hôtes,
quelques détails su r leurs rites e t leurs croyances. Ma curiosité
fut déçue, car ces nomades incirconcis, derniers descendants, dit-
on, des anciens chrétiens de la Péninsule, ont trop de prudence
p our p a rle r de leu r religion et de leurs coutumes.
Le lendemain matin, 10 septembre, deux ou trois heures avant
le lever du soleil, nous étions tous debout et prêts à p a rtir. Le
pays que nous eûmes à traverser pendant ce jo u r et les quatre
suivants, éta it si uniforme qu’il me suffira d’en donner une
courte description.
Le Haut Kasim est une plaine élevée, comprise dans le grand
plateau central dont une extrémité se prolonge jusqu’à Zobeyr
et l’au tre jusqu’à Médine. Son sol, couvert de gazon au printemps
et en été, d’arbrisseaux touffus en toutes saisons, fournit aux
moutons et aux chameaux d’excellents pâturages. Il est rafraîchi
par les brises de ce vent si doux, célébré dans les poésies orientales
sous le nom de « Seba Nedjin » (zéphyr de Nedjed). Les
bardes arabes rega rda ient cet air embaumé comme un messager
d’amour e t de bonheur, e t l’on ne s étonnera pas qu ils 1 aient
ta n t vanté, si l’on songe que la plupa rt de ces favoris des muses
étaient originaires de l’Hedjaz ou du Tehamah, pays brûlés par
un soleil d évorant ; d’autres, venus de la Syrie, ne connaissaient
de l’Arabie que la tris te ro u te de la Mecque ; aussi leurs pensées
les ramenaient-elles sans cesse vers les plateaux enchanteurs
du Nedjed, dont la tem p ératu re fraîche et fortifiante, la population
pleine de courtoisie et de vivacité, avaient fait su r eux une
impression profonde pendant leu r rapide passage.
Mais quand la douce odeur du rend, du khozama, du themàn, se
mêle à la légère brise du matin, on comprend les ravissements
d’un Oxide ou d’un Théocrite a ra b e , et l’on partage son en thousiasme,
son attendrissement au souvenir du Nedjed :
Tandis que les chameaux pressaient le pas , je dis à mon compagnon :
« Descendons aux passages de Menifah et de Demar*,
Aspirons les douceurs enivrantes des prairies du Nedjed :
Une fois ce jour passé, nous ne rencontrerons plus de pareils emvre-
ments.
Ah ! béni soit le ciel pour les brises parfumées du Nedjed,
Pour sa verdure et ses bosquets, étincelants sous la rosée du matm,
Pour la douce amitié qui charmerait nos coeurs, si le sort nous appelait
à vivre en ces lieux.
Nous n’aurions jamais à nous plaindre de ce que les jours nous appori
teraient.
Les mois s’écouleraient dans le bonheur, et nous ne remarquerions
Ni quand les lunes seraient nouvelles, ni quand elles disparaîtraient. »
Un autre poete, éloigné du pays de ses amours, exprime ainsi
ses regrets :
Ah ! brise du Nedjed! Quand tu souffles de cette terre bénie,
Tu ajoutes amour à mon amour, tristesse à ma tristesse.
A la brillante lumière du matin, la tourterelle s’éveille et roucoule,
Joyeuse elle s’élance de son nid, au milieu des touffes de thym.
Je la regarde et pleure comme un enfant. Mon coeur se brise ;
Le secret que j ’ai si longtemps caché m’échappe malgré moi.
On dit que la vue continuelle de l’objet aimé rassasie l’amour,
On dit que l’éloignement amène toujours l’oubli,
J’ai essayé de. ces remèdes : aucun n’a guéri le mal qui me dévore.
Pourtant ma douleur est moins grande quand je puis contempler la demeure
de ma bien aimée.
Mais sa présence même soulage peu ma peine,
Si son amour ne récompense mon amour.
J ’espère en avoir dit assez pour éveiller dans l ’e sp rit sympathique
du lecteur les mêmes sentiments qui agitaient les nôtres
tandis que la brise du Nedjed soufflait doucement et que n o u s,
récitions les poésies arabes. Revenons maintenant à des scènes
plus prosaïques.
Parfois une dépression de la plaine forme un e sorte de bassin
irrégulier, dans lequel les cours d’eau, si nombreux pendant la
saison pluvieuse, s'épanchent et forment des étangs que les chaleurs
même de l’été ne dessèchent pas to u jo u rs. Sur ce sol
d’alluvion, les arbrisseaux poussent plus vigoureux et plus
touffus; on y rencontre aussi des arb res, le talh, le nebaa, le
i . Deux collines de la frontière du Kasim, situées à peu de distance de Médine.