
pacifiques. Il fit à différents marchands de Bassora, de Meshid-
Ali, de Médine et de l’Yémen, des offres brillantes afin de les engager
à s’établir dans le nouveau marché d’Hayel ; il conclut avec
les uns des traités également avantageux pour eux-mêmes et pour
le pays ; il assura aux autres des privilèges et des immunités ; à
tous, il accorda une libérale protection. Beaucoup de ces trafiquants
étaient des shiites, secte odieuse aux sunnites fervents, plus
odieuse encore aux puritains wahabites. Télal affecta d’ignorer
leurs croyances religieuses, et imposa silence à ceux qui auraient
voulu les inquiéter, en accordant aux dissidents une faveur toute
particulière; le mécontentement du reste se calma bientôt
quand on vit combien la présence de ces étrangers était profitable
à la ville. Le roi aurait voulu attirer aussi les juifs et les chré- •
tiens, malheureusement la grande distance qui sépare Hayel des
centres commerciaux a jusqu’ici empêché la réalisation de ce
projet. Grâce à la fermeté, à l’esprit éclairé de Télal, l’impulsion
est maintenant donnée au pays; le commerce et l’industrie
prospèrent, et beaucoup d’habitants, suivant l’exemple des négociants
étrangers établis dans la capitale, rivalisent avec eux
d’intelligence et de richesse.
De telles mesures irritaient profondément la faction wahabite
du pays, qui a pour chef le sanguinaire et fanatique Obeyd.
Feysul, furieux de l’annexion du Kasim, saisit cette occasion
pour protester hautement contre le relâchement déplorable de
son « frère Télal. » Larumeur publique accusait le roi du Djébel-
Shomer, chose horrible à entendre pour des oreilles wahabites,
de s’adonner à des plaisirs interdits, de fumer, de porter de la
soie, de paraître à la mosquée. En outré, ce qui n’était pas un
moindre signe de tiédeur religieuse, il se permettait souvent de
pardonner aux criminels au lieu de les mettre à mort, comme
doit le faire un bon musulman ; l’encouragement qu’il accordait
au commerce Témoignait aussi de son mépris pour les lois de
l’islamisme, le Prophète n ’ayant admis que trois sources légitimes
de profit ou de plaisir : la guerre, la prière et les femmes.
Télal ne se laissa pas détourner du chemin qu’il avait résolu
de suivre, mais il couvrit sa conduite d’un voile suffisant pour
sauver les apparences. S’il fumait, c’était seulement en particulier,
et parce que les médecins le lui avaient prescrit comme le
seul remède capable de le guérir d’une affection chronique; s’il
accueillait les négociants shiites, c’était parce qu’il les savait
revenus de leurs erreurs religieuses. Quant au développement
qu’avait pris le commerce d’Hayel, il fallait en accuser les habitants
et non pas lui, qui ne pouvait intervenir dans les affaires
privées ; enfin, si les devoirs de la royauté l’empêchaient d’assister
aux prières avec la régularité désirable, il avait toujours
soin de s’y faire représenter par son oncle, le pieux Obeyd, ou
par quelque autre membre de sa famille.
De riches présents, envoyés à la cour de Riad, vinrent judicieusement
appuyer les explications du prince, qui acheva d’apaiser
le ressentiment de Feysul en épousant une de ses nombreu- .
ses filles. Télal fit encore au zèle des orthodoxes wahabites de
nouvelles concessions. La vente publique du tabac fut interdite;
si quelque particulier en achetait secrètement, l’État ne pouvait
en être responsable; la soie des vêtements dut être mélangée
d’une quantité de coton assez grande pour calmer les scrupules
des fidèles; dans la capitale, où abondent les espions
nedjéens, les habitants furent invités à suivre exactement les
exercices religieux, et la solitude des mosquées n’attrista plus
les regards des croyants. D’ailleurs Obeyd avait une si fervente
piété, il récitait si fréquemment le Coran, il était si pur des
abominations du siècle, avait une telle haine pour les infidèles,
que sa sainteté devait couvrir les scandales causés par ses
neveux,le jeune Métaab surtout dont les habits de soie et le profane
narghilé indignaient si fort les wahabites. Ce crime semblait
tellement irrémissible,à un metowa nedjéen, qu’un jour,
montrant le turban de soie brodée d’or qui couvrait la tête du
prince : « Allah, dit-il, pourrait pardonner tout autre péché,
mais celui-là, jamais. »
La conduite de Télal envers la Porte Ottomane n’est pas
moins habile, ni sa position moins délicate. En effet, si, à l’est
et au sud, ses États touchent au Nedjed, ses frontières du nord
sont voisines des pachaliks de Bagdad et de Damas, et la grande
route de la Mecque, considérée comme territoire turc, forme la
limite occidentale de son royaume, depuis Teyma jusqu’àKhey-
bar. Le commerce d’Hayel avec Meshid Ali et différentes villes
de la vallée de l’Euphrate, avec Médine et les nombreuses caravanes
de pèlerins, mettent sans cesse lé Djebel-Shomer èn contact
avec des sujets ottomans. Le fils d’Abdallah doit donc se