
plantations de Zulphah. A chaque pas, nous rencontrions des
paysans qui retournaient à leurs demeures après le travail du
jo u r, ou bien nous devions nous défendre contre des chiens dont
l'aboiement furieux disait assez combien ils trouvaient m alséant
de notre p a rt d’entre r dans la ville à une heure aussi avancée.
Arrivés dans les rues de la cité populeuse, nous fûmes surpris
de voir que les femmes y étaient beaucoup plus nombreuses que
les hommes ; cette particularité tenait à ce qu’une partie de la
population mâle venait d’être envoyée sous les murs d’Oneyzah.
Zulphah n ’appartient à aucune des trois provinces voisines ; inscrite
à p art sur les registres de l’empire, elle fournit un contingent
de six cents soldats aux armées wahabites ; du reste, ses
sympathies l’a ttachent étroitement à la cause nedjéenne, pour
laquelle ses habitants déploient un zèle beaucoup plus vif que
les agriculteurs du Kasim ou les marchands du Woshem. Les
troupes de Zulphah avaient quitté la ville deux jo u rs auparavant,
mais, pour épargner à leurs chevaux la traversée laborieuse
du Nefoud, elles avaient pris une route détournée, en
sorte que nous ne les avions pas rencontrées; ce qu i, peut-être,
avait été pour notre petite caravane une circonstance fort heureuse.
Nous nous dirigeâmes vers le palais du gouverneur nedjéen
qui, disait-on, avait amassé dans cette charge des richesses considérables
; ca r la cité de Zulphah, outre ses qualités guerrières,
se distingue encore par son opulence et ses aptitudes commerciales
; elle est l’entrepôt principal du Sedeyr, de l’Ared, du
Woshem, et ses habitants, hardis voyageurs, marchands infatigables,
remplissent les marchés de Zobeyr, Koweyt et Bassora.
Cette ville a de plus une grande importance militaire. Bâtie à
l’entrée du vallon qui conduit à la capitale de l’empire waha-
bite, elle est, de ce côté, la clef du Nedjed. Elle possède aussi
quelques souvenirs historiques ; près de ses murs se réunirent
les troupes d’Abdallah-ebn-Saoud, lorsque le fier- conquérant
partit pour mettre le siège devant Meshid-Ali et piller Ker-
bela.
Notre arrivée fut annoncée au gouverneur, mais le noble Nedjéen
n’était pas ce soir-là d’une humeur hospitalière; il refusa
de nous admettre même dans la cour de son palais, et nous
dûmes nous résoudre à camper en plein air au pied des murailles.
Une troupe de Bédouins Solibahs, venus à la ville pour vendre le
produit de leur chasse, y avaient aussi dressé leurs tentes.
Cependant le gouverneur, honteux sans doute de s’être m ontré
si peu courtois envers des voyageurs, résolut généreusement de
se charger des frais de notre souper. Il donna l’ordre d’acheter
aux Solibahs un daim superbe que ses serviteurs nous apportè
ren t de sa part. S’il faut en croire les Bédouins, l’animal appartenait
à une espèce particulière qui ne boit jamais d’eau, et
dont la chair est d’une saveur exquise. Assurément le spécimen
dont on nous avait fait présent, au ra it réjoui le palais d’un
gourmet, — n’eût-il même pas été accompagné de cet assaisonnement
délicieux, un formidable a p p é tit; — mais je ne saurais
affirmer que, de son vivant, il eût appartenu à la Société de Tempérance
dont les membres promettaient de fuir toute sorte de
« boissons. » Les Arabes prétendent aussi que les autruches e t
les gazelles de ces régions n ’éprouvent jamais le besoin de se
désaltérer ; cette assèrtion me semble difficile à admettre, l’herbe
du désert est trop sèche pour suppléer au manque d’eau, e t
l ’absorption cutanée ne saurait extraire beaucoup d’hümidité de
l ’atmosphère torride des plaines sablonneuses; ce qui est certain,
c’est qu’on rencontre ordinairement ces animaux dans des endroits
d’une extrême aridité.
Le lendemain matin, le Naïb étant trop fatigué pour se lever
de bonne heure, nous eûmes le temps, Barakat et moi, de visiter
le campement des Solibahs. Les tra its de ces nomades, leurs
grands yeux noirs, si peu semblables à ceux des Bédouins, la
couleur de leur peau, to u t en eux attestait une origine étrangère,
probablement syrienne. Ils causaient et riaient volontiers, — p a rfois
à nos dépens, — mais nous ne pûmes en tire r aucun renseignement
su r l’histoire de leu r trib u , tant est grande la réserve
que leur inspire la crainte des Wahabites. Les femmes ne portaient
pas de voile, et répondaient à nos questions aussi familièrement
que les hommes. L’une d’elles, fo rt jolie je u n e fille,
se permit même une plaisanterie trop caractéristique pour n’être
pas racontée. Avisant le Naïb qui, sans songer à mal, prenait
tranquillement sa tasse de thé, l’espiègle cré ature, accompagnée
par deux de ses parents, se promena longtemps devant lui, de
manière à a ttirer son attention. Les regards de l’enchanteresse
blessèrent au coeur le trop sensible Mohammed-Ali; il tenta d ’en