
congé du chambellan qui, avec son plus aimable sourire, nous
assura que nous serions toujours les bienvenus au palais quand
nous voudrions y venir prendre nos repas; notre logis actuel
avait été loué au nom du roi, qui nous considérait comme ses
liâtes tant que nous serions dans sa capitale. Heureux de nous
trouver enfin * chez nous, » nous fermâmes notre porte, et après
avoir pris différents arrangements, nous élevâmes nos coeurs
vers Celui qui nous avait préservés de tant de périls et fait arriver
heureusement au but de notre voyage. Jusque-là, nous
avions été sur le seuil de la terre promise, nous y étions maintenant
entrés, et nous sentions l’importance d’un tel résultat.
D’ailleurs, l’o rd re , la prospérité qui régnaient dans le pays,
l’aspect de la ville d’Hayel, riche et populeuse, la vue de son
ro i, dont les hautes qualités relevaient encore le pouvoir, tout
cela devait produire une certaine impression sur des voyageurs
habitués à la solitude du désert, à la demi-barbarie du Maan
ou du Djowf, ou, ce qui est pire, aux vices et aux désordres du
système turc. « Voilà un vrai gouvernement ! » s’écriait avec
admiration Barakat qui, de sa vie, n avait connu autre choseque
les luttes et l’anarchie des provinces du Liban. Et, à vrai dire,
l’administration de Telal n’est pas moins supérieure a celle de
la Porte-Ottomane, que l’Angleterre ou la Belgique ne sont, sous
ce rapport, au-dessus du Djébel-Shomer.
La nationalité, après tout, est un bien précieux, et la domination
étrangère n’offre jamais que de pauvres compensations à
ceux qui l’ont perdue. * Voici un pays, pensais-je, où un prince
arabe gouverne ses concitoyens d’après les lois et les usages
arabes, et cependant il réussit beaucoup mieux à maintenir la
paix dans ses États, à assurer le bonheur de ses sujets, à établir
partout l’ordre e t la justice, qu’aucun pacha de Constantinoplene
l’a jamais fait ni pu faire dans les provinces placées sous son
autorité. » La raison en est facile à comprendre, quoique les
hommes politiques refusent souvent de l’admettre. La Syrie,
Bagdad, la vallée de Mossoul, Les plateaux de la Mésopotamie
reprendraient une vie nouvelle si elles recouvraient leur indépendance.
Je ne veux rien dire de l’Europe, où la Pologne, la
Servie, la Sicile, d’autres nations encore1 se débattent sous l’é 1.
L’auteur aurait pu citer au'si l’Irlande, [hoie du traducteur.)
treinte du même mal. Mais en Asie, je n’hésite pas à le déclarer,
le meilleur, le seul remède aux souffrances des provinces soumises
à la Turquie, serait la restitution deleur nationalité. Forsan
hæc olim meminisse juvabit.
Le lendemain, 29 ju ille t, une h eu re après le lever du soleil,
tous les curieux de la foule,— et jamais foule plus nombreuse ne
se pressa sur le pont de Coventry, — assiégeaient notre demeure,
car l’installation des deux étrangers était le grand événement
du jo u r. Charmés d’une telle affluence , nous avions à dessein
laissé notre porte ouverte, de manière à permettre aux badauds
de plonger leurs regards dans l ’intérieur.
A l’ombre des murailles de notre cour, nous avions étendu
des tapis, des coussins, des couvertures destinés à ceux qui
viendraient consulter le grand docteur. Ici, une fois pour toutes,
je présente humblement mes excuses au lecteur, je n’avais pris
mes grades dans aucune Faculté, pas même celle d’Aberdeen;
le titre dont je me décorais était donc un mensonge, une
scandaleuse imposture, si l’on veut, mais je ne pouvais agir au trement.
J’espère que ces circonstances atténuantes, jointes à de
bons antécédents, me sauveront des anathèmes du corps médi-
’ cal. Au reste, depuis plusieurs années, j ’avais sérieusement étudié
l’art de guérir et acquis quelque expérience pour les cas
ordinaires de maladie. La chambre située à gauche de la cour
avait été tapissée convenablement ; c’était là que je me tenais
assis, les jambes croisées, ayant devant moi des balances, des
mortiers, des fioles et des boîtes remplies de drogues. Plusieurs
livres de thérapeutique arabe, étalés avec ostentation, me servaient
de diplôme; j ’avais en outre caché derrière uu coussin
deux vade-mecum, l’un anglais, l’autre français, afin de les consulter
au besoin. Mon compagnon, qui jouait de son mieux le
rôle d’élève en médecine, devait s’enquérir du motif qui amenait
les visiteurs et les admettre un par un dans le sanctuaire
du nouvel Esculape. La chambre de droite, ouverte aussi, laissait
apercevoir des bouilloires, du bois, des melons, des dattes,
spectacle plus encourageant que les purgatifs et les médicaments
de la pièce voisine. Nous avions revêtu nos plus beaux habits,
chemises d’une blancheur éclatante, turban brodé, combaz ou
robe de chambre à grands ramages.
Nous n’attendîmes pas longtemps la clientèle ; la eour se rem