
fre le même aspect général, quoique le fleuve le plus rap proché
du Kasim soit le Shatt-el-Arab, situé à plusieurs centaines
de milles. Mes yeux étaient depuis si longtemps accoutumés
aux eaux trompeuses du mirage, que cette illusion
flatteuse n’évellait en moi d’autre souvenir que celui de la soif
et de la chaleur.
Vers le soir, nous arrivâmes auprès de quelques monticules
d’une nature particulière e t qui ne ressemblaient nullement
au te rra in rocailleux que nous avions foulé ju sq u ’alors. Là
commence un Nefoud, heureusement plus étroit que celui
qui nous avait fait souffrir de si cruelles angoisses trois mois
auparavant, lorsque nous nous rendions du Djowf au Shomer;
ce bras de sable, compris entre le Kasim, le Woshem et le
Sedeyr, se dirige du sud-ouest au nord-est et nous devions le
traverser dans toute sa largeur. Mais octobre diffère grandement
de ju illet, même en Arabie ; de plus nous étions en compagnie
d’un guide meilleur que le lourd Djedey.
Le Nefoud dans lequel nous allions entre r sè rattache au dés
e rt méridional ou Dahna, qui part de l’Yemen e t de la Wadi
Nedjran, traverse la Wadi Dowasir au-dessus de Kelaat, puis
s’étend vers le nord en laissant à sa droite le Nedjed, à sa
gauche le Djebel-Asir, La Mecque et l’Hedjaz. Il projette, chemin
faisant, plusieurs bras de sable dont le plus long, après
avoir longé la chaîne du Djebel Toweyk, borde le Kasim méridional,
puis entre dans le Woshem qu’il coupe en p artie et
qu’il sépare ensuite du Sedeyr. Ses dernières ondulations
se perdent dans la vaste plaine rocailleuse q u i, située au
nord-est de la Péninsule, la rattache à Bassora et au Shatt-el-
Arab.
Nous nous arrêtâmes à l’entrée du désert pour faire un maigre
souper, après quoi les Persans se dédommagèrent en savourant
une tasse de th é , tandis que les Arabes prépa ra ient la liqueur
chère à leu r pays. Gomme il est impossible de voyager sur
ces sables profonds lorsque le soleil les embrase de ses feux,
Abou-Eysa fut d’avis de les trav e rser pendant les heures fra îches
de la nuit; il nous fit donc rep a rtir longtemps avant que
l’oblique pyramide de la lumière zodiacale se fût évanouie à
l ’ouest de l’horizon. Toute la nuit, nu it pleine de fatigues, nous
marchâmes au milieu des vagues de sable, dans lesquelles nos
chameaux enfonçaient souvent jusqu’au ventre; il nous fallait
alors mettre pied à te rre pour les dégager. Les étoiles étaient
notre unique boussole; mais notre guide avait parcouru plus
d’une fois ce Nefoud, e t il reconnaissait son chemin à mille signes
invisibles pour un oeil moins exercé. Quand les premières
lueurs de l’aube apparurent à notre droite, nous nous trouvions
près du sommet d’une montagne de sable, et il soufflait un a ir
plus vif que je n’en avais encore senti dans la Péninsule. Nous
fîmes halte, puis ayant recueilli des morceaux de ghada et
allumé un feu flambant, nous nous étendîmes en cercle autour
du brasier, les uns pour causer, les autres pour dormir, ju s qu’au
moment où les rayons du' soleil vinrent dorer les sommets
environnants.
La pleine lumière du jo u r nous montra le caractère véritable
du pays que nous traversions; il offre le même aspect que le
Néfoud septentrional du Djébel-Shomer, mais ici les ondulations
sont plus hautes et plus profondes, et le sable plus léger et
plus mobile. Dans beaucoup d’endroits, il n ’a pas assez de consistance
pour que le moindre arbrisseau ou même une touffe
de gazon y puisse fixer ses racines; dans d’autres, une végétation
chétive s’efforce de lu tte r contre des conditions aussi défavorables,
mais nulle p art on n ’aperçoit la moindre trace de
l’homme. Les chameaux se frayaient difficilement u n passage ;
les Persans, que l’habitude n’avait pas familiarisés avee de telles
scènes étaient abattus et silencieux ; enfin nous ressentions tous
une grande fatigue, ce qui cértes n ’avait rien d’étonnant. Un
peu avant midi, et au moment où la chaleur du soleil devenait
intolérable, nous parvînmes au bord d’une dépression immense
en forme d’entonnoir, qui avait bien trois ou quatre milles de
circonférence ; les vagues de sable disparaissaient de toutes
parts devant ce vallon qui pouvait avoir de sept à h u it cents
pieds de profondeur e t . au fond duquel on distinguait la teinte
blanchâtre d’une roche calcaire environnée d’un petit groupe de
maisons, d arbres, de jardins, q u ’un singulier hasard isolait
ainsi au coeur même du désert.
C’était l ’oasis et le petit village de Wasit ou * l’Intermédiaire, »
point central situé entre les trois' provinces de Kasim, de
Sedeyr et de Woshem, et qui n’appartient cependant à aucune
d elles. Il ne reçoit que rarement la visite des voyageurs, comme