
ne différa guère des précédentes, si ce n’est par une conversation
plus intéressante, et des éloges moins emphatiques de Feysul.
Abou-Eysa était un vieil ami de notre hôte; il en apprit les nouvelles
les plus récentes de Riad et il nous les communiqua un
peu après. Mohammed-Ali écrivit son journal à la clarté d’une
lampe persane; il relatait exactement, jour p a r jo u r, tous les incidents
du voyage, et il avait ainsi composé un ouvrage fort
amusant qui, s ii était traduit e t publié, suffirait, j ’en ai peur,
p o u r je te r le mien dans l’ombre. Il était écrit en iranien; mais
quand le Naïb voulait bien m en lire quelque passage, mon
ignorance le forçait à le mettre en mauvais arabe ou en bon
hindoustani. Je ne crus pas devoir l’informer que je prenais
aussi des notes; je craignais d’éveiller des soupçons auxquels
il n ’était que trop prédisposé, car il avait connu dans l’Inde un
grand nombre d’Anglais; heureusement, sa confiance était entreten
u e p a r Abou-Eysa qui, toujours rempli de son projet d’association,
exaltait ma science médicale et confirmait mon origine
syrienne.
En ce moment la provision de tabac du Naïb commençait à
s’épuiser; il ne savait comment il parviendrait à la renouveler
dans un pays où cette plante est connue seulement sous le nom
de « el m ukzhi » (la honte), quelquefois même sous une qualification
pire encore et to u t à fait intraduisible, qui impliquerait
qu’elle est un produit du diable; mais l’excessive aridité de son
tempérament paraît devoir rendre cette version peu croyable.
Les Wahabites néanmoins affirment résolûment que la p re mière
tige de tabac a été fécondée par une irrigation singulière
et satanique; de là un terme qu’il est impossible de répéter
devant des oreilles délicates. Qui donc alors pourrait songer, je
ne dis pas à consommer, mais à vendre ou même à posséder une
substance aussi vile? En ce monde cependant, e t dans le Nedjed,
aussi bien qu’ailleurs, il n’y a pas de loi qui ne soit éludée, pas
de défenses douanières que la contrebande n ’enfreigne. Un esp
o ir, fondé su r la faiblesse de la nature huma ine, poussa
Hoseyn, l ’un des serviteurs du Naïb, à faire une b a ttu e , argent
en main, dans les boutiques de Medjmaa; ses questions pour
obtenir « la honte » n ’eurent d’autre résultat que de causer un
immense scandale. Il finit p a r s’adresser à Abou-Eysa qui, familiarisé
de longue date avec le pays, connaissait des manoeuvres,
que la grossière cervelle d’un enfant de Bagdad ne pouvait
deviner. Notre ami s’étant souvent trouvé dans le même
embarras que le Naïb, avait appris à distinguer les faux semblants
de la réalité. Les fumeurs ne sont pas rares au Nedjed,
e t l’on compte parmi eux plus d’un nom illustre. Pourvu de
la somme nécessaire, le guide sortit pour se livrer à une re - '
cherche moins bruyante, mais plus fructueuse, que celle du
P e rsan , et il rep a ru t bientôt avec u n sac contenant au moins
deux livres de la feuille diabolique; il le tendit au Naïb, non
sans avoir prélevé une commission en nature assurément bien
gagnée, qu’il ne manqua pas de partager avec nous.
Nous fûmes levés le lendemain avant le jo u r; l’a ir de la nuit
était frais, et quelques heures de sommeil nous avaient reposés.
La vallée au milieu de laquelle s’élève Medjmaa est située à la
même hauteur, ou peu s’en faut, que le premier plateau de la
montagne; il nous fallait a rriver au second, qui forme le milieu
du Toweyk ; nous prîmes une route fort escarpée, mais assez
courte, d’où nous découvrions à droite et à gauche un immense
horizon ; devant nous, une masse de rochers abruptes fermait
la perspective.
Ce fut alors que j aperçus un phénomène qui, je crois, n ’a pas
son pareil dans l’Arabie centrale. Une source d’eau vive, jaillissant
des rochers, formait à quelques pas de nous un courant
large et profond; les rives couvertes d’une herbe touffue, cachaient
des grenouilles qui faisaient entendre leu r coassement
monotone. Nous demeurâmes muets d’étonnement; c’était la
première fois, depuis notre départ du Djowf, qu’un tel spectacle
s’offrait à nos yeux. Malheureusement la pittoresque rivière rie
prête pas longtemps au paysage sa vie et sa fraîcheur, elle se
perd à quelques lieues plus loin dans les plaines de Djeladjil.
Nous traversâmes vers le milieu du jo u r cette antique cité,
dont les auteurs arabes Amroul Keys et Antarah font mention
longtemps avant l’hégire; encore aujourd'hui c’est une ville
considérable, abondamment pourvue d ’eau et remarquable p a r
1 étendue de ses bois de palmiers. Ses maisons e t's e s palais,
coquettement abrités p a r de beaux a rbres, n’offrent du reste rien
qui attire l’attention du voyageur. Une heure plus ta rd nous
laissions sur notre gauche la ville de Rowdah (jardin), qui, par
son importance et la fertilité de ses campagnes, ne le cède en