
de chaque côte s’élèvent les murailles brûlantes des collines, et
s’il regarde devant lui, il n’aperçoit qu une vaste mer de feu,
gonflée par le simoun qui soulève ses vagues rougeâtres. Nul
abri à espérer, nul repos à attendre au milieu des flots de lu mière
et de chaleur que verse un soleil dévorant.
Taie scendeva l’etemale ardore
Onde la rena accendea com’esca
Sotto focile, a doppiar lo dolore.
Nous avancions avec peine sur ce sol mouvant; nos chameaux,
allanguis et stupéfiés, ralentissaient leur pas monotone.
Cependant il fallait sortir au plus vite de ce désert affreux;
nous marchions tout le jo u r, et nous faisions à peine
la n u it une halte de quelques heures. Pour ajouter à nos
souffrances, nous avions peu à manger, moins encore à b o ir e ,
ca r l’eau tiède et trouble de nos outres s’évaporait rapidement ;
enfin, les rayons du soleil, tombant à plomb su r nos vêtements
et nos bagages, les pénétraient tellement qu’ils exhalaient une
odeur de brûlé, et que nous pouvions à peine y poser la main.
« Si ce supplice devait être éternel, ce serait l’enfer, » dis-je
à mon compagnon, à demi couché su r sa monture : il ne fit aucune
réponse.
Les Bédouins eux-mêmés avaient perdu leur bruyante gaieté;
dispersés, les uns en avant, les autres en arrière de la caravane,
ils poursuivaient leur route sans échanger une parole, et le silence
n’était interrompu que p a r le grognement plaintif de
nos chameaux quand nous les frappions pour accélérer leur
marche.
Nous avions quitté le puits de Shekik le 20 ju ille t, u n peu
après midi. Pendant le reste du jo u r et la nuit suivante, nous
nous arrêtâmes trois heures seulement pour souper et prendre
un peu de repos; nous ne pouvions donner plus de temps au
sommeil : car si nous ne sortions pas du Nefoud avant que
notre provision d’eau fût épuisée, notre perte éta it certaine.
Le lundi, 21 juillet, se passa de la même manière; les jo u rnées
me paraissaient d’une interminable longueur. Dans ces
solitudes, aucune végétation ne vient récréer la vue et rompre
l’uniformité du paysage ; le ghada qui demande pourtant si peu
d’humid ité, est ici ra re et rabougri; on n’aperçoit nulle trace
d’hommes ou d’animaux : le désert pas plus que l’Océan ne
garde l’empreinte des voyageurs qui le traversent.
Dès les premiers moments de la route, j ’avais observé que
les Shérarat, les plus jeunes surtout, affectaient envers nous
une insolente familiarité qui éveilla mes soupçons ; car les Bédouins
ont coutume, lorsqu’ils méditent quelque perfidie, de
sonder ainsi le voyageur dont ils veulent faire leu r victime, et
le moindre signe de faiblesse devient le signal de leu rs actes de
brigandage. La meilleure conduite à ten ir en pareil cas est de
garder le silence, de montrer un visage sévère et de leur adresser
de temps en temps une verte réprimande, à peu près comme
on intimide un chien qui veut mordre en le regardant fixement.
Nous prîmes donc la précaution de te n ir nos pillards à distance
autant que possible, de leur p a rle r fort peu, et toujours
d’un ton froid et hautain. Bientôt les plus hardis eux-mêmes
parurent déconcertés, e t un vieux chef Azzam, au visage sec
et ridé comme du parchemin, s’approcha de moi sous prétexte
de me demander un avis médical, en réalité pour protester de
son dévouement et de son respect. J ’accueillis ses avances avec
une réserve glaciale; là-dessus, il me supplia d’avoir de l’in dulgence
pour ses compagnons ; ils étaient mal élevés, mais
n ’avaient aucune intention mauvaise; je devais les regarder
comme des frères, des serviteurs fidèles, etc. Je reçus ses excuses
d’un air de d ig n ité , lui donnant à entendre que ses
amis aura ient à se rep en tir s’ils avaient usé envers nous de la
moindre violence, — quoique, à vrai dire, je ne sache trop ce
que nous aurions pu faire si les choses en étaient venues à cette
extrémité; — puis je finis p a r condescendre à causer d’une manière
plus amicale, à m’informer de sa m a lad ie , et à lui
donner les conseils que je le crus capable de comprendre et
' de suivre.
Les gens du Shomer et du Djowf m’apprirent plus ta rd
que nos estimables S hérarat, nous supposant possesseurs de
grandes richesses, s’étaient proposé de nous dépouiller de notre
bagage, de nous enlever nos montures, et de nous laisser sans
vivres e t sans eau dans le Nefoud, où nous n’aurions pas manqué
de périr. Ce plan avait été confié au guide, dont il fallait s’a s su
re r l’appui ; mais cet homme, habitué à vivre dans les villes,
sous la discipline salutaire de la loi, fut effrayé des conséquen