
decins ont perdu les notions les plus élémentaires de leur art ;
la coloquinte et le séné, produits indigènes, dont l’effet est énergique
et incontestable, sont à peu près les seuls .végétaux employés
dans la thérapeutique ; quant aux préparations externes,
on n’en connaît pas d’autre que le soufre, le sulfate de mercure,
le sulfate d’arsenic. Je passe sous silence une boisson fort dégoûtante,
empruntée aux chameaux, et en usage parmi les Bédouins
pour combattre la constipation. Les docteurs arabes pratiquent
peu la saignée ; l’adresse et les instruments nécessaires
pour cette opération leur font également défaut. Un de mes amis,
nommé Hannoush, se servit un jour de sa hachette ! Et, chose
plus étrange encore, il réussit à ne pas couper le bras du patient,
et à ne déterminer aucune phlébite. Un seul remède est fréquemment
ordonné, c’est le cautère, que les malades supportent
avec une patience surprenante. Quelle que soit l’affection,
quel que soit le siège du mal, le fer chaud est aussitôt appliqué,
et si l’on est assez mai avisé pour se plaindre d’une souffrance
purement extérieure, il faut s’attendre à être affreusement couturé.
L’ignorance serait excusable, si elle n’était jointe au pédan -
tisme. Chacun, même les esclaves nègres, sait par coeur la fameuse
division des tempéraments. « Suis-je bilieux, sanguin,
lymphathique ou mélancolique ? » est la première question que
l’on adresse au médecin. Toutes les théories médicales, — et le
paysan le plus borné ena une, —sont fondées sur cette classification
; il faut que le médecin, même quand il mépriserait une
distinction aussi puérile, paraisse en tenir compte, s’il ne veut
passer pour le plus ignare charlatan.
Labonne humeur et l’urbanité des Arabes, jointes à leur jugement,
à la vivacité de leur intelligence, facilitent néanmoins
la tâche du médecin; avis donc aux praticiens dégoûtés de
Londres ou de Paris ; si la clientèle leur fait défaut en Europe,
quelques années passées dans la Péninsule amélioreront leurs
affaires.
Avant de quitter ce sujet, je dirai quelques mots des docteurs
maintenant en vogue dans l’Arabie. Depuis les frontières syriennes
jusqu’aux vallées du Nedjed, on rencontre une tribu fort
étrange, partout la même, partout distincte des autres clans, et
bien connue de tous les habitants du désert. Ce sont les Solibah',
dont le nom même, dérivé du mot salib, qui signifie croix,
semble indiquer l’origine chrétienne. D’autres preuves viennent
au reste confirmer cette supposition ; ainsijamais ils ne prennent
part aux guerres et aux disputes des nomades, jamais ils ne
contractent avec eux de mariages ni d’alliances ; ils vivent principalement
de chasse, et n’ont pas de rivaux dans l’art de poursuivre
la gazelle ou l’autruche. Quoique l’influence du christianisme
sur eux soit presque effacée, ils gardent encore un des
signes distinctifs de notre croyance, une antipathie profonde
contre le mahométisme, dont ils ne se contentent pas de négliger
les rites comme la plupart des Bédouins, mais qu’ils désavouent
hautement. Évidemment, ils n’appartiennent pas au tronc
arabe; d’après leurs propres traditions, ils seraient venus du
nmd, et ils ont en effet beaucoup plus de ressemblance avec les
Syriens qu’avec les Arabes ; les traits de leur visage, la blancheur
de leur peau, leur insouciante gaieté forment un contraste
frappant avec la sombre et inquiète physionomie des autres nomades.
Les habitants de la Péninsule attribuent aux Solibah une
science médicale bien supérieure à celle qu’ils possèdent eux-
mêmes, et ce n’est pas, je crois, sans quelque raison. Les musulmans
regardent la médecine comme un héritage des chrétiens,
ils reconnaissent volontiers que, sous ce rapport, ils sont loin
d’égaler les disciples de Jésus ; leur préférence pour les docteurs
Solibah est donc assez naturelle. J’ai entendu raconter, sur
l’adresse de ces derniers, des choses presque incroyables ; mais,
n’ayant j ’amais vu de mes propres yeux aucune des merveilleuses
guérisons qu’ils opèrent, je n’entretiendrai pas le lecteur
de faits d’une vérité peut-être contestable. Il me suffira de dire
que, d’après les récits des Arabes, les chirurgiens Solibah pratiquent
les opérations les plus délicates avec une adresse digne
d’un Astley Gooper ou d’un Brodie ; on m’a fourni sur les tra ite ments
qu’ils appliquent aux différentes maladies, des détails qui
pourraient faire croire à l’habileté réelle de cette Faculté nomade.
Des empiriques maugrabins traversent aussi parfois la Péninsule
; mais ils inspirent peu de confiance, et ne paraissent exercer
la médecine avec beaucoup de profit, ni pour les malades, ni
pour eux-mêmes.