
rien à Djeladjil. J ’allais oublier de dire que le nom de cette dernière
ville signifie clochette, et qu’il est amplement justifié par le
carillon joyeux qui annonce de loin l’approche des mulets, des
moutons, voire même des chameaux.
Nous atteignîmes enfin les plateaux les plus élevés. Ils re s semblent
à d’énormes tours, recouvertes d’une plate-forme et
séparées les unes des autres p a r de vastes prairies. Pendant que
nous les traversions, nous rencontrâmes une troupe de Bédouins
Meteyr; ces nomades, maîtres et tyrans autrefois du Nedjed
oriental, sont aujourd’hui les humbles sujets du gouvernement
wahabite, qui les a même ramenés à une apparente orthodoxie:
le u r conversion toutefois ne les empêche pas, lorsqu’ils sont loin
de toute surveillance, de déposer leu r masque pieux et de s’écrier
: Batelna-l-islam, batelna-s-Salah (adieu l’islamisme, adieu
les prières). Répandus su r de vastes territoires, — c a r ie s limites
de leur trib u touchent aux rives du golfe Persique , — ils possèdent
de nombreux troupeaux et d’abondants pâturages. C’était la
première fois, depuis longtemps, que j ’apercevais une bande
aussi nombreuse, et jamais dans le Nedjed, l’Hasa et l’Oman,
il ne m’arriva d’en rencontrer de semblable.
Le lendemain, quelques Benou-Kahtan s’étant trouvés su r notre
route, nous cherchâmes à obtenir de ces nomades des renseignements
sur le clan célèbre auquel ils appartenaient. Leur trib u ,
p a ra ît-il, est originaire de l’Yemen; elle ne descend donc pas
de la grande famille ismaélite qui occupa le nord de la Péninsule;
la race arabe se p artage évidemment en deux branches distinctes,
et les Bédouins Kahtanites ne ressemblent nullement à
ceux de Shomeret du Nedjed; ils se rapprochent du type indien
p a r la taille, les traits du visage et la couleur de la peau, leur
voix aussi est plus douce, leu r dialecte diffère de celui des provinces
non-seulement par la prononciation, mais encore p a r la
stru c tu re des mots. Les proverbes de Meidani, quelques ouvrages
d’Abou-Temmam, peuvent donner une idée de cet idiome;
riche, expressif, mais peu élégant, il est à l’arabe de Mahomet
ce que le grec d’Homère est à celui d’Isocrate ou de Xénophon.
Sans en tre r, pour le moment, dans une longue dissertation sur
les Kahtanites en général, je dirai que les Benou-Kahtan sont
répandus dans une grande partie de l’Arabie ; ceux qui nous
donnaient ces détails venaient de la Wadi-Seieyel, province re culée
de l’empire wahabite, comprise entre le Dowasir e t la
Wadi-Nedjran ; d’autres occupent les pâturages qui s’étendent
au midi de l’Ared, d’autres, enfin, n’ont pas quitté l’Yemen.
Moins guerriers que les clans du nord, les Meteyr, les Adjman,
les Oteybah, ils leur sont également inférieurs sous le rapport
de la force physique.
•Nous arrivâmes le jour même à Toweym, grande ville, qui
renferme environ quinze mille habitants. Elle n’est pas aussi
avantageusement située que Medjmaa; d ép lu s, bâtie au niveau
du second plateau de la montagne, elle a un climat beaucoup
moins agréable. Le gouverneur actuel, Nedjéen de l’Ared, qui
avait supplanté les Sedeyri, se montra fort peu hospitalier.
Abou-Eysa et moi, nous avions e rré longtemps dans les ru es
voisines de son palais sans rencontrer aucun serviteur que nous
pussions charger d’avertir ce haut personnage de notre arrivée;
quand, enfin, il en fut instruit, nous eûmes à attendre longtemps
quelque témoignage de sa bienveillance. Contrairement à l’usage
arabe, les portes du château restè rent closes ; le lieutenant de
Feysul voulait-il nous cacher sa pauvreté, ou bien craignait-il
d’exposer ses richesses à la cupidité de voyageurs inconnus? Je
ne sais. Toujours est-il qu’il finit par nous loger chez des officiers
subalternes. Le Naïb et sa suite furent installés dans une
maison, Barakat et moi dans une autre, les Mecquains dans une
troisième, et notre ami Abou-Eysa avait fort à faire pour p a rta ger
ses soins entre tous les membres de la caravane. Heureusement
l’Arabe q u i, par ordre du gouverneur, remplissait envers
nous les devoirs de l’hospitalité, était un brave homme, aux
manières simples et cordiales ; il nous traita de son mieux ; mais
il ne pouvait empêcher que la ruelle où il logeait ne fût étroite,
l ’habitation petite, l’a ir accablant. Nous étouffions dans son
khawah ; au s si, après avoir goûté quelques-unes des belles
dattes longues et jaunes qui font l’orgueil du Nedjed, nous nous
empressâmes de sortir pour visiter la ville.
Les maisons, pressées les unes contre les a u tre s , ont en général
deux étages, quelquefois même trois; les chambres du
rez-de-chaussée atteignent ju sq u ’à quinze pieds d’élévation,
les autres à dix ou douze; enfin, )e toit est entouré d’un m u r
haut de six pieds; les habitations présentent donc un aspect
assez imposant, mais leurs propriétaires n ’ont fait aucune ten