
cendre, nous faisaient de l’hospitalité qui nous attendait dans la
Wadi-Serhan.
Après avoir cheminé quelque temps entre les petites collines
de sable qui couvrent le sol, nous aperçûmes, éparses au milieu
des buissons, un grand nombre d’habitations chétives, « les
tentes de Cedar, » probablement fort semblables à celles que
Salomon dépeignait à sa fiancée égyptienne. Peut-être, en parlant
ainsi, sommes-nous injustes envers l ’antiquité; dans tous
les cas, les demeures qui s’offraient à nos yeux nous donnaient
peu d’espoir de voir se réaliser les promesses flatteuses de nos
Bédouins. En effet, de toutes les misérables tribus qui infestent
l’Arabie, celle des Sh erarat est la plus misérable. Ils ont à peine
quelques moutons ; un cheval parmi eux est un luxe presque inconnu,
et leurs nombreux chameaux, unique richesse qu’ils aient
au monde, ne les affranchissent pas des privations et des souffrances
de la vie sauvage. Les autres Bédouins du nord, les Seba,
les Rualah, les Fidhan possèdent au contraire d’immenses tro u peaux
de brebis, des h ara s féconds, qui sont l’objet d’un commerce
assez étendu et grâce auxquels ils échappent à la misère,
triste partage de nos nouveaux amis, les Arabes Sherarat.
Disséminés sur toute la surface du désert septentrional, ces
derniers ont choisi la Wadi-Serhan pour lieu de réunion ; ils sont
au reste divisés en groupes innombrables, dont chacun reconnaît
un chef séparé ; le seul lien qui les unisse est leu r commune
dépendance du roi de Djebel Shomer, auquel ils payent,
non sans murmures, un trib u t annuel.
Nous avions déjà laissé derrière nous plus d’une tente chétiv
e , plus d’un Bédouin déguenillé, quand Salim, désignant
quelques habitations de moins pauvre ap p a ren ce, nous apprit
qu’il comptait s’a rrê te r là pour demander le repas du soir. « Ge
sont des Adjawid (gentlemen), nous serons bien reçus, » ajouta-t-il
par manière d’encouragement. Nous devions nous confier à son
expérience; quelques minutes plus ta rd , nous étions réunis
auprès des tentes de peaux de chèvres, opulentes demeures
de ceux que nous avions choisis pour hôtes.
Le chef, car c’était à la porte de ce noble personnage que nous
avions frappé, échangea quelques paroles d’un laconisme maçonnique
avec notre guide : celui-ci revint ensuite à nous, se mit
en devoir de décharger les chameaux, et tandis que nous nous
installions sur une pente sablonneuse en face du village, il nous
conseilla d’avoir l’oeil sur nos effets;il pouvait se trouver, dit-il,
parmi les Arabes, tout Adjawid qu’ils étaient, quelques membres
peu scrupuleux auxquels il p rît fantaisie d’alléger les bagages.
Cette communication donnait à penser. Si les Adjawid étaient des
voleurs, que devaient être lesmanants? Nous nous efforçâmes néanmoins
de faire bonne contenance, e t pren an t un air de dignité
imposante, nous nous assîmes sur le sable, attendant le résultat
des négociations de Salim.
Une vingtaine de Bédouins entouraient notre guide, et cherchaient
p a r des questions multipliées, à tire r de lui quelques
renseignements sur nous et sur notre pacotille, qui excitait grandement
leur curiosité, pour ne pas dire le u r convoitise.
Le chef, suivi de sa famille, les femmes exceptées, et d’une
foule d’Arabes, ne ta rda pas à venir nous souhaiter la bienvenue;
il le fit en termes fort courts, car les Bédouins n’ont pas l’habitude
d ’employer les formules cérémonieuses introduites p a r les
Turcs et les Persans. Tous s’assirent ensuite, formant un demi-
cercle autour de nous. Ils te n a ie n t à la main le court bâton re courbé
qui se rt à conduire les chameaux et dont le nomade ne
se sépare jamais. Quant aux plus jeunes membres de la société,
ils témoignaient de leur bonne éducation en se postant devant
nous pour nous regarder avec impertinence, ou en se je tan t les
uns aux autres des poignées de sable et de poussière.
Mais quelle plume p o u rra it donner une idée d elà conversation
de ces Bédouins, de leurs questions confuses, de le u rs réponses
bizarres, de leurs gestes e t de leurs manières? « Une personne
raisonnable se trouve dans cette ville à peu près comme un
homme lié à des mulets au milieu d’une étable » disait u n é tran ger
en p a rlan t de la ville de Homs, connue dans toute la Syrie
pour la stupidité de ses habitants. Parmi les Arabes du désert,
où il n’y apas d’étables, l ’hôte ressemble à un homme qui placé
au milieu d’une plaine, serait entouré de m ules sauvages bondissant
autour de lui, et lui envoyant leurs ruades furieuses. La
nature humaine se montre ici sous son jo u r le plus défavorable :
l’un se roule su r le sable, l ’autre y trace avec le bo u t de son b â ton
des lignes sans but, un troisième nous fait des grimaces,
tandis qu’un quatrième nous adresse de niaises demandes, ou
bien lance des plaisanteries qui ont la prétention d’être fort