
s e rtio n ;je me contenterai de faire observer qu’elle est parfaitement
applicable à l ’islamisme. Dans aucune partie du monde,
il n ’existe plus de divisions secrètes, d’antipathies, d’incrédulité,
d’hérésies (au point de vue mahométan, cela va sans dire),
que dans ces pays q u i, à première vue, semblent également
courbés sous la loi du Coran. Mais nous aurons plus d’un fois
occasion de revenir su r ce sujet ; bornons-nous donc en ce moment
à constater que les Bédouins Sherarat, isolés au milieu
du désert, livrés à une profonde sauvagerie,.présentent le type
le plus accompli de la race nomade, conservée pure de tout
mélange étranger.
En général, ils ne sont guère mieux instruits de la religion
musulmane, de ses prières, de son culte, de ses ablutions, que
ne p o u rra it l’être u n honnête éleveur anglais.Quant aux pèlerinages,
la seule part qu’ils y prennent consiste piller les pieuses
caravanes qui se rendent à La Mecque ; et les prescriptions re latives
à la g rande fête du Ramadan sont pour eux lettre close.
En revanche, ils font su r la tombe de leurs parents et de leurs
amis, de fréquents sacrifices, dans lesquels le sang des moutons
e t des chameaux est abondamment versé ; ces immolations
remplacent pour eux les observances du Coran, et nous ne sa vons,
en vérité, si, au point de vue moral, ils y p e rd en t beaucoup.
L’extrême licence de leurs moeurs rend à peu près superflues
les faibles b arrières qu’imposent aux passions les lois
mahométanes; la promiscuité, plutôt que la polygamie, forme
la base de leurs relations conjugales; et nulle p a r t cet adage
sceptique : « Bien savant est le fils qui connaît son père, » ne
reçoit une large confirmation. Sans en tre r dans de plus longs
détails, j ’en appellerai à leur propre témoignage et je citerai
une phrase fort en usage parmi eux, qui résume parfaitement
le u r état moral : «Nous ne valons pas même nos chiens! »Tristes
paroles qui, je puis l’affirmer, expriment la vérité, la vérité
entière, rien que la vérité.
Il était environ dix heures du matin, et la chaleur devenait
excessive, quand la vue de quelques arbres rabôugris nous
annonça le voisinage des puits de Wokba, où nous avions 1 intention
de renouveler notre provision d’eau, lin des Bédouins,
pressant le pas de sa monture, se détacha de notre troupe et
décrivit une sorte de cercle pour s’assurer qu’aucune trib u hostile
n’était en embuscade, prête à fondre sur les caravanes im prudentes.
Notre éclaireur ne découvrit personne, to u t était
silencieux, e t l’éclatant soleil de midi donnait un aspect plus
mélancolique encore aux ruines d’un village abandonné, dont les
débris épars couvraient le lit desséché d’un to rren t. Non loin de
là se trouvaient les puits ; les uns, obstrués par des pierres, les
autres maigrement pourvus d’une eau bourbeuse et saumâtre ;
néanmoins, comme nous ne devions pas rencontrer de nouvelles
sources avant quatre jours entiers, nous remplîmes soigneusement
nos outres de ce liquide dégoûtant.
L’opération terminée, nous remontâmes su r nos chameaux,
et nous reprîmes la direction de l’orient. La chaîne bleue du
Sheraa se perdait peu à peu dans les vagues contours de l’horizon;
devant nous s’étendait la plaine sombre, immense, dénuée
de végétation et de vie. De tous côtés, des lacs fantastiques
étalaient leurs eaux trompeuses, qui faisaient p a ra ître
la chaleur et les privations plus pénibles encore; çà et là de
sombres rocs basaltiques, grandis par la réfraction de l’atmosphère
embrasée, prenaient la forme d’une fantastique et gigan
tesque montagne. Spectacle terrible et désolé, auquel la solitude
ajoutait une telle h o rre u r que la vue même d’un ennemi aurait
semblé un soulagement! Pendant cinq jo u rs, le lézard du désert,
à la peau si sèche qu’il semble ne pas avoir u n e parcelle d’humidité
dans son corps disgracieux, et la gerboise d’Arabie fu ren t
les seulés créatures su r lesquelles notre oeil p û t se reposer.
Notre voyage devint alors tellement pénible, que nous a u rions
regretté de l’avoir entrepris, si un tel sentiment avait
pu entrer dans notre coeur ou améliorer notre position. Je n’oublierai
jamais ces journées longues et monotones, d u ran t lesquelles
nous pressions avec une ardeur fiévreuse le pas de nos
chameaux, marchant quinze ou seize heures su r vingt-quatre,
exposés aux rayons d’un soleil vertical, que les Ethiopiens d’Hé-
rodote ont été bien excusables de maudire, et ne tro u v an t rie n ,
ni dans l’aspect du paysage, ni dans la société de nos compagnons,
qui p û t nous distra ire un moment de nos tris te s pensées.
Notre course était à peine interrompue p a r u n repos insuffisant
de deux ou trois heures ; puis le guide nous réveillait avec ces
sinistres paroles : « Si nous tardons, nous mourrons tous de