
les os d’un, malheureux voyageur, européen, blanchis par sept
années de soleil et de pluie, en portent encore témoignage dans
le voisinage de Dereyah.
Cet infortuné dont j ’ai, paraît-il, annoncé le premier le triste
sort à ses amis d’Europe, suivait la route conduisant de la côte
orientale à l’intérieur, c’est-à-dire aux provinces wahabites,
qu’il- voulait traverser. Jusque-là tout allait b ie n , et nous verrons
dans la dernière partie de cet ouvrage, qu’il avait choisi la
voie la plus facile et la plus directe. Mais sa mauvaise étoile lui
inspira la pensée de revêtir une robe de derviche. Affublé de la
sorte, il débarqua su r la côte d’Hasa, et se rendit à Hofhouf, que
Mohammed-es-Sedeyri gouvernait alors au nom de Peysul. Là il
commença, par une prodigalité peu en harmonie avec son rôle
de mendiant, à tra h ir son origine étrangère. Peu de jours après,
Sedeyri envoyait à Riad un courrier chargé d’informer le roi
* qu’un loup, caché sous la peau d’un agneau, » — c’était plutôt
u n agneau couvert de la peau d’un loup, — avait pénétré dans le
bercail wahabite. Avec la circonspection ordinaire aux Arabes,
le monarque nedjéen donna l ’ordre de ne pas contrarier le soi-
disant derviche, d’éviter soigneusement de lui laisser voir qu’il
était découvert, e t de l ’encourager à continuer son voyage.
Après trois ou quatre semaines, ne soupçonnant guère quels
yeux étaient fixés sur lui, le voyageur partit d’Hofhouf, franchit
la Wadi-Farouk et le Dahna, en longeant le Djebel-Toweyk,
traversa la Wadi-Soley, et p arvint à Riad, où, rempli d’une sécurité
trompeuse, il se présenta, moitié comme hôte, moitié
comme mendiant, à la porte du palais de Peysul.
Le chambellan Abdel-Aziz, après l’avoir reçu suivant les règles
de l’étiquette-, s’informa de son nom, et des motifs qui l’amenaient.
Le nouveau venu répondit qu’il était derviche et accomplissait
le pèlerinage de La Mecque. On l’invita poliment à prendre
le café, puis Abdel-Aziz sortit pour informer l’araignée ned-
jéenne que la mouche imprudente se trouvait maintenant au
centre de la toile.
Le malheureux voyageur se li vrait le soir même au repos après
une journée de fatigues, comptant bien passer plusieurs jours à
Riad, sans être inquiété, quand le roi lui envoya dire : « Nous
au tre s Wahabites, nous n’avons pas besoin de derviches dans
notre territoire ; que l’étranger poursuive demain matin sa route
pour La Mecque, Où il sera certainement mieux qu’ici. » A ce
message, étaient joints la petite aumône, onze francs environ
que l’on donne en semblable circonstance, un vigoureux chameau.
et la promesse d'envoyer le guide qui devait conduire
l’étrangei>à la station suivante.
Ne pas obéir était aussi impossible qu’obtenir u n sursis. A
l’heure dite, deux serviteurs du palais prirent, avec la victime,
la direction de l’ouest. Des ordres avaient été donnés pour lui
faire suivre la route qui passe par les ruines de Dereyah, où demeurent
les fanatiques les plus farouches de la secte wahabite.
Arrivés aux premières maisons, les guides appelèrent les habitants
et leur apprirent qu’ils avaient devant eux un espion européen
caché sous les dehors trompeurs d’un derviche. Quelques
minutes, plus tard, l ’in fo rtu n é. gisait étendu sans vie sous les
palmiers, le corps percé de plusieurs balles. J ’ai recueilli ces détails
sur les lieux mêmes ; e t un silence de sept années qui n’a
été interrompu par aucune lettre, ni aucune nouvelle du malheureux
explorateur, me fait craindre « que ce conte ne soit trop
véridique. »
J ’aurai occasion de parler plus ta rd d’un moyen employé souvent
avec succès pour échapper à l’intolérance wahabite, « Et
quorum pars magna fui. » Mais ce que je viens de dire montre le
danger réel attaché dans les provinces nedjéennes au costume de
derviche, le voyageur qui l’emprunte fût-il certain de n ’être pas
découvert. A la vérité, dans presque tous les pays mahométans,
les véritables derviches sont l’objet d ’une certaine vénération,
même quand la singularité de leurs vêtements et de leurs manières
les rend légèrement ridicules. On peut les comparer aux
frères mendiants des contrées catholiques, honorés en dépit du
léger sourire ou de l ’innocente plaisanterie que leu r vue provoque
souvent. Mais parmi les Wahabites il n’en est pas ainsi,; un derviche,
à quelque secte qu’il appartienne, est considéré comme
un monstre d’iniquité. C’est un frère mendiant fourvoyé avec
son froc et son rosaire au milieu d’une congrégation d’antipa-
pistes zélés. * L’insensé va au puits pour se laver les pieds et il
les souille de boue,.» dit un, proverbe tamoul, qui ne sau ra it
trouver une meilleure application.
Dans un mémoire sur les ruines de Nakeb-el-Hedjar, communiqué
par le capitaine Welsted à la société géographique de