
branches du fleuve du Paradis terrestre. Personne n ’ignore
que même dans les plus vieilles traditions consignées au
livre de Moïse, les indications géographiques, toujours
fondées sur les connaissances locales les plus précises, sont
d’une admirable exactitude. Mais ce n ’est pas ici qu’il conviendrait
d’insister sur une question de cette nature, que
nous avons discutée ailleurs.
D’après ce que nous a dit M. Palgrave, qu’en pénétrant
au coeur de l’Arabie son objet principal était l’étude nom
de la terre, mais de l ’homme, on doit s ’attendre à trouver
dans sa relation d’importantes et nombreuses informations
ethnographiques. Elles y abondent en effet, et sous une
forme souvent piquante elles nons apportent des notions
aussi neuves qu’instructives.
Il y a en Arabie deux classes de populations bien distinctes,
— distinctes non par la langue ou aucun des caractères
qui constituent le fond des nationalités, mais par
les moeurs, les habitudes, tout le détail de la vie sociale.
Ce sont les Bédouins ou Arabes nomades, et les Arabes des
villes. On sait sous quel jour relatif les voyageurs ont dépeint
ces deux élasses d’Arabes. L’immense supériorité que
le pasteur sémite ou arabe — le Bédouin, pour employer
la dénomination qui nous est devenue familière depuis que
nous sommes en contact avec eux dans notre possession algérienne,
— s’est de tout temps attribuée dans son opinion
sur l’Arabe sédentaire, cette supériorité ne lui a été contestée
par aucun voyageur. Le Semite est resté pour tous le
type d’une noble nature, que le séjour des villes a pervertie
ou abaissée. « Je voudrais, dit quelquepartM. Palgrave,
que ceux dont l’imagination se complaît dans un portrait
idéal de la vie du désert, ceux qui regardent les Bédouins
comme dignes d admiration et leur condition comme digne
d’envie, je voudrais qu’ils fussent ici, dans mon campement,
seulement pendant trois jours, et qu’ils pussent voir de leurs
propres yeux, et non d’après des narrations romanesques,
à quelle profondeur de dégradation une des plus nobles
races de la terre a pu descendre sous l’influence séculaire
de la vie nomade. » Mais cette noblesse de la race, c ’est
dans les parties élevées du centre de la Péninsule, non dans
le désert comme on l’a cru longtemps, qu’il la faut chercher.
« J’ai beaucoup connu, et d’une manière assez intime,
dit encore notre voyageur, pas mal de races d’Asie,
d’Afrique et d’Europe ; eh bien, je donnerais difficilement
à aucune d’elles la préférence sur le véritable et pur Arabe
du centre et de l’est de la Péninsule. C’est la même langue
et le même sang que les Arabes du désert : et cependant
combien ils leurs sont immensément supérieurs! Il n’y a
pas plus de distance entre un grossier Highlander et un
gentleman anglais. »
Nous sommes loin, on le voit, du thème favori des poètes
et des moralistes, et même de la sobre et froide appréciation
de plus d’un bon voyageur. C’est que le théâtre de l’observation
ni le champ de comparaison ne sont les mêmes. Les
Arabes que les voyageurs ont vus sont ceux du Hedjaz ou de
la Syrie, à demi ottomanisés ; pour M. Palgrave, c’est la
race pure du Nedjed, qu’au physique et au moral il proclame
incomparablement la plus belle de l’Arabie. Les Bédouins,
pour lui, ce sont tout simplement des barbares qui ont
quelques-unes, des demi-vertus de la barbarie, — encore
les a-t-on grandement surfaits, — mais qui en ont aussi
tous les vices : la défiance, l’astuce, la cupidité éhontée, à
certaines heures la cruauté froide, dans tous les temps l'invincible
penchant au vol et à la maraude. Là-dessus notre
voyageur est inépuisable, bien que sa raison et son esprit
de justice le tiennent en garde contre l’exagération déclamatoire.
Ceux qui ont vu et ont pu apprécier les Bédouins