
ment a cause de la difficulté du transport, mais aussi parce que
a ir sec et brûlant du désert les au ra it bientôt fait évaporer. En
effet, deux ou trois flacons dont j ’avais cru devoir me munir ne
gardèrent bientôt d’au tre trace de leu r contenu que les étiquettes
en dépit des bouchons à l’émeri et des doubles enveloppes qui
les protégeaient. Je rapporte ce détail pour les voyageurs qui
voudraient ten te r la même aventure sous un déguisement
analogue.
Différents autres objets requis pour la profession médicale,
üeux ou trois livres européens destinés à mon usage personnel
et tenus soigneusement loin de tout oeil profane, des ouvrages
thérapeutiques en bon a ra b e , étalés au contraire avec
ostentation, complétaient notre bagage de docteurs. Une ample
pacotille de pièces d’étoffes, de mouchoirs, de verroteries de
pipes et. d’articles du même genre, devait nous offrir des re s sources
dans les lieux où notre science médicale serait peu appréciée.
Enfin, une énorme provision de café, ancre de salut
principal espoir de notre commerce, formait à elle seule la
charge d un vigoureux chameau.
P eu t-e tre s’étonnera-t-on de cet attirail compliqué, peut-être
même le condamnera-t-on comme superflu ; de semblables p récautions
pourtant, si elles ne sont pas to u t à fait indispensables,-
offrent de grands avantages à ceux qui désirent visiter l’Arabie
Centrale avec quelque sécurité ; j ’en donnerai les raisons dans
le cours de mon récit. Sans cette prévoyance; le lecteur n’au ra it
jam ais eu le plaisir, si p laisir il y a, de parcourir la grande Péninsule,
un livre à la main, les pieds su r les chenets, sans courir
tout a fait les mêmes risques ni supporter les mêmes fatigues
que les voyageurs qui lui servent de guides.
Si nous avions mieux connu, au moment de notre départ, le
pays que nous allions visiter, nous aurions diminué notre pacotille
de marchands, au profit de notre bagage de docteurs ; nous
comptions en effet vendre aux Bédouins nos tissus et nos vêtements,
et nous réservions l ’a r t médical p o u r les habitants des
vil es e t des villages ; or, nous supposions, comme beaucoup de
gens, que l’Arabie était presque exclusivement habitée p a r les
nomades et que la population sédentaire avait peu d’importance;
grave méprise que nous ne tardâmes pas à reconnaître. Les p re mières
étapes de notre voyage une fois franchies, nous n’eûmes
«a
plus à traverser, jusqu’au^ rives du golfe Persique et de l’océan
indien, que des provinces où les Bédouins devaient être comptés
à peu près pour rien, tandis que nous rencontrions' à chaque pas
des cités populeuses et florissantes.
Dès les premiers jours, notre apparence à demi-mercantile
nous avait suscité de graves embarras dont notre titre de m é decins
nous aida seul à sortir. Yoici comment les choses
s’étaient passées :
Maan, que nous venions de quitter, est une petite ville, ou
plutôt un village, situé sur la grande route de Damas à La
Mecque; je n ’entreprendrai pas de la décrire, M. Wallin en ayant
déjà parlé dans son Voyage au nord de l'Arabie. Nous étions a r rivés
juste au moment où la saison des pèlerinages y envoie le
plus grand nombre de voyageurs, et nous trouvâmes la place
occupée p a r une garnison turque qui avait mission de protéger
les fidèles serviteurs du Prophète ; l ’affluence des étran g ers tenait
la population en éveil, circonstance fâcheuse pour nous, qui désirions
a ttire r su r nos modestes personnes le moins d’attention
possible. Nous fûmes obligés d’attendre dix mortelles journées,
les guides qui devaient nous faire trav e rser le désert; pendant
ce temps, les magistrats de la ville et les effendis turcs de la g a r nison
eurent le loisir de nous observer de trop près ; ils s’étonnèrent
avec quelque raison de voir des marchands abandonner
la perspective certaine d’une vente abondante et profitable su r
la route de La Mecque, pour faire u n m étier de dupes en p o u rsu ivant
dans le désert un gain douteux, su rto u t à cette époque de
l’année. Cachant leurs soupçons sous u n a ir plein de bienveillance
et d’intérêt, ils nous conseillèrent d’aban d o n n er notre
projet, ce qui nous mit dans u n g rand embarras, ca r le refus de-
vaitparaître ridicule et déraisonnable, pour ne pas dire plus. Heureusement,
des gens éblouis p a r notre pompeux appareil médical
imaginèrent que notre motif réel, en persistan t avec tant
d’obstination à nous rendre au Djowf, devait être la recherche de
trésors m ystérieux cachés dans les profondeurs de l’Arabie ; cette
opinion singulière leur était suggérée par des aventuriers mau-
grabins, fort renommés dans l’a rt de g uérir et dans les sciences
ocultes, qui avaient, peu de temps aupa ravant, traversé la frontière,
en quête de prétendues richesses. Cette idée ingénieuse s timula
leur bienveillance et leur amitié p o u r nous, c a r ils comp