
de nos arguments, et comme il é tait, aussi bien que nous, ac
câblé de fa tig u e , il consentit d'assez bonne grâce à re ta rd e r le
départ ju sq u ’au coucher du soleil. En attendant, notre hôtesse,
vieille femme fort laide, mais à l ’air bienveillant et gai, nous
entretenait de Telal, mêlant à ses éloges des plaintes fréquentes
au sujet de sa tyrannie et de l’oppression q u ’il fait peser sur les
Bédouins; d’où nous conclûmes que ce prince savait maintenir
avec fermeté l’ordre et la justice.
Nous repartîmes le soir, et nous nous dirigeâmes vers le nord,
afin de nous rapprocher de laWadi-Serhan; le déser t changeait
peu à peu d’aspect, les espaces de sable ou de gazon qui en p a rsemaient
le fond noirâtre devenaient plus larges et plus nombreux
; le lendemain, 23 ju in , nous aperçûmes au loin les cimes
bleuâtres d’une chaîne de montagnes qui se prolonge de l’ouest
à l ’est et q ui, si j ’ai bonne mémoire, ne figure sur aucune carte
européenne.
Nos Bédouins se flattaient d’arriver à laWadi-Çerhan avant la
tombée de la n u it, mais un accident imprévu faillit mettre fin
prématurément à notre voyage et à nos aventures. Le lecteur
doit avoir entendu parle r plus d’une fois des effrayants ravages
causés par le simoun, ce vent mortel du d é s e rt; pour moi, je
ne connaissais encore par expérience que le sirocco des plaines
de S y rie , e t je penchais à croire les récits que l’on m’avait faits
« su r le vent de fièvre et de feu , » inspirés par l’imagination
poétique qui a dépeint les colonnes mouvantes de sab le , et
d’autre s phénomènes du même genre. Quand j avais interrogé
les hommes de l’escorte à ce sujet, ils s étaient mis à r i r e , disan
t que jamais l’Arabie n’avait été témoin de semblables m e rveilles;
mais lorsque je les questionnai su r le simoun, ils p rir
e n t u n a ir plus sérieux et je pus voir bientôt que leurs craintes
n ’avaient rien d’exagéré.
Il éta it midi ; le soleil, b rillan t au milieu d’un ciel sans nuage,
versait à flots ses rayons embrasés sur le désert aride; to u t à
coup le vent du su d , lourd et chaud, se mit à souffler p a r violentes
rafale s, e t l ’air devint si accablant qu’il paraissait manquer
à nos poitrines oppressées. Mon compagnon et moi, nous
nous regardions avec inquiétude, nous demandant ce que de tels
signes pouvaient présager. Nous voulûmes interroger Salim,
mais cour bé sur son chameau, la tête dans son burnous, il parut
ne pas nous entendre. Les deux autres Bédouins avaient suivi
son exemple, et demeuraient également silencieux. Enfin, sur
nos questions réitérées, le guide répondit d’une voix brève, en
nous montrant une petite tente noire qui, par un bonheur providentiel,
se trouvait à peu de distance : « Si nous parvenons à
l ’atteindre, nous sommes sauvés ! Prenez garde à vos chameaux,
ajouta-t-il, ne les laissez ni s’a rrê te r, ni se coucher à terre. »
Puis il poussa vigoureusement sa monture et garda de nouveau
un silence obstiné.
Nos regards anxieux se portèrent du côté de la tente ; deux
cents mètres au moins nous en séparaient encore ; cependant,
l’air devenait de plus en plus étouffant, nos bêtes de somme
refusaient d’avancer. L’horizon s’obscurcissait rapidement et
prenait une teinte violette ; un vent de feu , pareil à celui qui
sortirait de labouehe d’un four gigantesque, soufflait au milieu
des ténèbres croissantes; nos chameaux, en dépit de nos efforts,
tournaient sur eux-mêmes et pliaient les genoux pour se coucher.
A l’exemple des Arabes, nous nous étions couvert le visage,
et nous frappions nos montures avec une énergie désespérée,
les poussant vers le seul asile qui s’offrît à nous. Heureusement,
il était temps encore; quand la tempête déchaîna toute sa
fureur, son souffle empoisonné ne pouvait nous atteindre ; nous
étions dans la tente, à demi suffoqués, il est vrai, mais sains et
saufs. Nos malheureux chameaux, étendus à terre et sans vie en
apparence, avaient enfoui leurs longs cous dans le sable, pour
laisser passer l’ouragan.
A notre arrivée, une femme, dont le mari était parti pour la
Wadi-Serhan, se trouvait seule dans latente. En voyant cinq
hommes faire irruption chez elle sans lui adresser une parole,
elle pousse un cri perçant, et aussitôt son imagination lui r e présente
des tableaux d’incendie, de pillage et de meurtre. Salim
se hâte de la rassurer : « Nous sommes des amis, » lui dit-il;
sans plus d’explications il se couche sur le sol, et nous l’imitons
en silence.
Dix minutes se passèrent ; une chaleur semblable à celle d’un
fer rouge nous enveloppait de ses brûlantes étreintes; puis les
parois de la tente recommencèrent à s’agiter sous le souffle
d’un vent furieux. Le simoun s’éloignait. Nous nous levâmes et