
lui servait de coiffure en rendait témoignage. Les autres membres
de la famille ne m’étaient pas moins sympathiques; j ai
rarement vu des enfants plus respectueux ou une famille mieux
élevée. Mes lecteurs comprendront que je veux parle r ici de la
pa rtie morale et non intellectuelle de l’éducation. Le fils aîné
qui avait déjà atteint le milieu de la vie, ne se serait jamais p e rmis
de p a ra ître en présence de son père sans avoir déposé son
épée dans le vestibule, et sous aucun prétexte il ne se serait assis
à ses côtés su r le divan.
Le khawah de Dohey était un des plus agréables que j ’aie
jamais vus; il ouvrait sur un magnifique ja rd in ; deux fenêtres,
garnies de riants treillis, laissaient pénétrer une douce lumière ;
la muraille du fond, qui s’élevait seulement à moitié de la h a u te
u r, se re lia it à la toiture p a r d’élégants piliers, autour desquels
serpentait une vigne dont les riches rameaux remplissaient
l’espace laissé vide e t dont le feuillage tran sp a ren t tamisait les
rayons du soleil. Le planche r du divan, plus h au t de deux pieds
dans cette p artie lumineuse, était couvert de tapis de Perse aux
couleurs vives, de coussins de soie, e t d’élégants meubles arabes.
Au coin le plus reculé de la pièce se trouvait le petit fourneau à
café en pierre, assez éloigné pour que sa chaleur ne pût incommoder
ni le maître ni ses hôtes. Ce khawah était le rendez-vous
favori des Hayélites nobles et riches; la conversation y prena it
u n to u r sérieux, et roulait le plus souvent su r la politique de
l’Arabie, su r les partis qui se disputaient la prééminence. Quant
à Dohey, bien qu’il fût rempli de patriotisme, il était capable
cependant de rendre justice aux étrangers, qualité que l’on ren contre
ra rem e n t jointe à la première, et qui, p a r cela même a c q
u ie rt plus de prix.
J ’ai passé dans cette charmante habitation, moitié jardin,
moitié khawah, bien des heures agréables, égayées par de b ien veillants
visages e t u n e instructive causerie. Là, j ’apprenais à
apprécier les mâles vertus du peuple arabe, et, m’efforçant de
lever un coin du voile qui couvre l ’avenir, je me demandais
quand ces germes précieux, inféconds parce qu’ils sont isolés,
seraient fertilisés p a r le contact de la civilisation. « Il n est pas
bon que l ’homme soit seul, - a dit, dès le commencement du
monde la Sagesse divine, il en est de même des nations.
Souvent aussi je passais dans quelque jardin les heures que
l’accablante chaleur de midi empêchait de consacrer au travail ;
des arbres touffus, de beaux palmiers me p rêta ient le u r ombre ;
un courant d’eau vive, alimenté p ar un puits que masquaient
d’épais feuillages, semblait l’oeuvre de la n a tu re plutôt que
celle de l ’art. Je m’étendais auprès du ruisseau pour jo u ir de
sa fraîcheur, et je discutais, avec Abdel-Mahsin ou avec d ’autres
Arabes intelligents et instruits, les mérites de leurs poètes nationaux;
ces entretiens avaient quelque chose d’attique, rendu
plus attrayant encore p a r l’enjouement grave et tranquille qui
est particulier aux Orientaux.
Parfois aussi quand les étoiles s’allumaient au ciel, je quittais
avec Barakat la pesante atmosphère des rues e t du marché
pour aller resp ire r librement dans la campagne; nous y restions
une heure ou deux à causer ensemble, ou bien apercevant, au
milieu de l ’ombre croissante, la forme vague d’un promeneur,
nous nous approchions de lu i et nous nous amusions de sa simplicité
si c’était un Bédouin, de sa ruse et de sa circonspection, si
c’était un habitant d’Hayel.
Telle était notre vie dans le Djebel-Shomer. Divers incidents
venaient en varier le cours; les plaisirs et aussi les contrariétés,
les ennuis que la société de nos semblables apporte toujours
avec elle, ne nous manquaient pas ; quelquefois le nombre des
malades et la gravité de leu r état ne nous laissaient aucun loisir ;
quelquefois, pendant u n jo u r ou deux, nous n ’avions aucune
occupation sérieuse. Mais de tels détails, bien q u ’ils eussent
alors pour moi de l’inté rêt, et que leu r souvenir me soit encore
cher, ne méritent pas de fixer l’attention du lecteur. Du 27 ju illet
au 8 septembre, nous continuâmes à. exercer dans Hayel la
profession de docteurs ; nos occupations médicales étaient n o tre
principale affaire quand u n épisode, peu important en apparence,
absorba toute notre attention, car il se ra tta ch a it au b u t
même de notre entreprise. On devine sans doute que je veux
p a rle r de nos rapports avec Télal, sa famille e t ses ministres.
Ici commence la série d’événements, les uns conformes, les a u tres
contraires à nos désirs, qui se déroulèrent p en d an t notre
voyage d’Hayel aux rives du golfe Persique. Les détails relatifs
à cet incident feront l’objet d’un chapitre p articulier.