
nous entendîmes derrière nous le galop de plusieurs chevaux.
Ceux qui nous poursuivaient ainsi étaient des officiers du palais,
et à leur tête se trouvait le frère du gouverneur, revêtu
d’un splendide costume couleur de pourpre. Cet important personnage
était chargé de nous ramener à Sadik , où l’on avait
préparé pour nous u n succulent déjeuner. Faute de temps, nous
dûmes refuser l ’offre engageante qui nous était faite; toutefois,
avant de p a r t i r , l’envoyé nedjéen fuma furtivement une pipe
avec Barakat et avecmoi.
Notre chemin serpentait au milieu d’arbrisseaux et de taillis
épais, dans lesquels abondaient les lièvres et les perdrix. Le Naïb
possédait u n excellent fusil de chasse qu’il avait rapporté de
l’Inde; mais quoiqu’à l’e n ten d re , il fût un nouveau Nemrod,
nous ne pûmes lui persuader en cette occasion de montrer son
adresse, d’où nous conclûmes, — et le lecteur sera sans doute, de
notre avis, — qu’il n ’était pas habile tireur. Pour colorer son
refus, il prétendit qu’en sa quàlité de shiite, il ne devait pas
abattre u n gibier aussi impur. Les sectateurs d’A li, ont en effet,
comme les Juifs, une longue liste d’aliments prohibés ; ce n’est
pas qu’ils cherchent à imiter en rien les enfants d’Israël, pour
lesquels ils professent au contraire u n mépris suprême ; cette
abstention le u r est commandée p a r leur demi-dieux, Hoseyn,
Zeyn-el-Abidin, Djaafer, etc.; d’absurdes et insignifiantes analogies
ont, p a ra ît-il, inspiré la défense des prophètes; nos amis
les shiites, alléguaient en particulier, pour s’abstenir de la chair
du lièvre, une raison trop ridicule et trop grossière pour être
rapportée ici. La religion d’Ali est si pleine de pratiques étroites,
de dogmes révoltants pour la ra iso n , que l’on comprend sans
peine les progrès, chaque jo u r plus accusés, du matérialisme et
du panthéisme chez les Iraniens ; les pensées généreuses, les
nobles aspirations sont étouffées trop souvent sous un amas de
rites mesquins et de folles doctrines. Quoi qu’il en soit, la controverse
s’animait entre le Naïb et les Nedjéens de notre escorte,
ceux-ci prétendant, comme tous les su n n ite s, que la chair du
porc a seule été interdite aux vrais fidèles.Rien ne manquait aux
débats que la pièce du procès, mais le 'Naïb refusant d’exercer
su r les lièvres son habileté de chasseur, la discussion, à notre
grand regret, ne so rtit pas du domaine de la théorie.
Quittant le labyrinthe de rochers et de broussailles qui rap -
pelle les paysages de l’Arcadie, nous arrivâmes, vers midi, dans
une plaine qui domine à droite la. ville de Houlah. Ses remparts
garnis de tourelles ressemblent, pour la forme e t la grandeur
à ceux de Conway Gastle; ils en diffèrent toutefois en ce que la
brique séchée au soleil a seule été employée pour les construire.
La campagne environnante est couverte de florissantes cultures,
car les habitants ne déploient pas seulement une rare activité'
commerciale, ils ont encore une aptitude remarquable pour les
travaux agricoles. Houlah, doit à sa proximité relative de Shakra
et du Woshem une partie de la prospérité dont elle jo u it; elle
s est considérablement développée sous l’administration waha-
bite, et cela p ar deux raisons : la première, l’ordre e t la paix qui
ont succédé aux luttes des provinces, la seconde, l’importance
croissante des districts situés au centre de l’empire wahabite
Aussi le gouvernement de Feysul est-il un véritable bienfait pour
les pays qui avoisinent le Djebel Toweyk, pour le Sedeyr,leWos-
hem, l’Ared, l’Yemamah et l’Afladj. Le Nedjed était si pauvre, si
totalement ruiné p a r les dissentions intestines, si ravagé p a r les
maraudeurs nomades, ou les chefs tyranniques qui l’opprimaient
sans savoir le défendre, il é ta it enfin tombé dans une si
extreme misère que to u t changement ne pouvait manquer
de lui être avantageux. Un gouvernement c e n tra l, assez fort
pour maintenir l ’ordre et a ttire r la richesse de pays plus prospères
a été pour lui un avantage réel. Supposons, p a r exemple,
que la Suisse avec ses cantons montagneux, devienne tout à
coup maîtresse de l’Italie au sud, et des provinces Rhénanes au
nord, 1 Allemagne et l’Italie tire ra ient vraisemblablement peu
de profit d’une telle annexion; mais l’Helvétie, verrait pour un
temps du moins, sa richesse et son importance s’accroître. C’est
ainsi que les riches pays d’Hasa, de Katif et de Kasim ont été
victimes de leu r incorporation au Nedjed; qu’ils ont, pour me
servir d une expression triviale « payé les violons, » car le Nedjed
profite de leurs pertes, et absorbe leur substance même.
Nous avions laissé derrière nous beaucoup d’autres villages
et hameaux de moindre importance, quand enfin, après quelques
heures d’une marche assez facile, nous atteignîmes au
doucher du soleil Horeymelah, où nous devions passer l a ’
soirée.
Cette ville, lieu de naissance du célèbre Mohamed-ebn-Abdel