
découvrîmes nos visages. Mes compagnons semblaient plus
morts que vifs, et je ne faisais p a s , j ’imagine, meilleure figure;
n éanm o in s, malgré les avertissements du g u id e , je voulus
sortir pour voir comment nos chameaux avaient supporté la
tempête; ils demeuraient toujours étendus sans mouvement sur
le sol. L’obscurité était encore profonde., mais bientôt le jour
rep a ru t avec son éclat accoutumé. Chose singulière! Pendant
toute la durée de l’ou rag an , aucun tourbillon de poussière ou
de sable ne s’était élevé, aucun nuage ne voilait le ciel', et je ne
sais comment expliquer les ténèbres qui to u t à coup avaient
envahi l’atmosphère.
Notre hôtesse, revenue de sa fra y eu r, s’était tenue immobile
au fond de sa tente jusqu’à ce que la tempête fût passée. Donnant
alors un libre cours à sa curiosité, elle sembla prendre à tâche
de nous p rouver, par u n flot de paroles, que le simoun, cause
de ta n t de maux, n’avait pas du moins la cruauté de frapper une
femme de mutisme. Nous continuâmes notre route le soir
même, et le lendemain de bonne h eu re , nous pénétrions dans
la Wadi-Serhan. Mais avant d’emmener avec nous le lecteur
dans ce p a y s , il ne sera pas inutile de faire connaître en quelques
mots sa configuration générale et son caractère. Nous ne
prétendons pas que cette vallée soit inconnue aux géographes,
cependant les détails dans lesquels nous entrons ici peuvent inté
re sse r le public e t servir aux progrès de la science.
Au sud de la Syrie, depuis les rivages de la mer Morte jusqu'à
la vallée de l ’Euphrate s ’étend l’immense désert dont nous venions
de traverser une portion ; peu de sources, même pendant
les mois d’hiver, se montrent à la surface de son sol dur et
pierreux; au printemps, une végétation maigre et rare y pousse
à reg re t ; en été, la sécheresse est extrême e t ces vastes solitudes
offrent partout aux regards un aspect monotone et désolé. Un
rocher solitaire, de petites collines, parfois une chaîne de montagnes
peu élevée, mais abrupte et sauvage, rompent ç \ et là
l’uniformité du tableau. Telle est au nord la grande ceinture de
désert qui entoure l’Arabie c e n tra le , l’isole de la Syrie et de
Bagdad, rend ses communications avec l’Yemen, l ’Hedjaz et
l’Oman incertaines et difficiles.
Malgré son aridité, le d ésert septentrional renferme des vallées,
ou plutôt de longues et sinueuses dépressions de te rra in , dans
lesquelles !es rochers et les cailloux font place à une te rre mélangée
de sable, assez humide pour donner naissance à une
végétation relativement abondante. Des plantes et des arbustes
y fleurissent ; le gazon, s’il ne reste pas vert toute l’anné e, conserve
du moins quelque temps sa fraîcheur ; certains f ru its ,
nourriture habituelle des Bédouins, y croissent sans culture.
Ces oasis, bien qu’elles ne répondent pas à l’idée brillante qu’un
te! nom éveille d’ordinaire, sont les rendez-vous favoris des
«nomades, et les voyageurs que le commerce ou d’autres motifs
attirent dans cette région sauvage, ne manquent pas de les tr a verser.
La Wadi-Serhan, ou Vallée du Loup, ainsi appelée sans
doute à cause d’une ancienne tradition oubliée aujourd’hui, est
une oasis de ce genre qui se prolonge du nord-ouest au sud-est,
touche à Damas par une de ses extrémités, tandis que l’autre
est voisine du Djowf, la première province de l’Arabie centrale.
Nulle autre vallée aussi longue e t aussi fertile n’existe dans le
pays; l’eau s’y rencontre partout à une profondeur de dix ou
quinze pieds au plus, et la flore y prend même une certaine
variété.
Là commencent les domaines de Telal-Ebn-Rashid, prince du
Shomer, dont le nom oblige au respect et à la soumission tous
les habitants du désert dans le voisinage de la Wadi-Serhan. En
effet, quoique les nomades, pareils à l’Océan d eB y ro n , défient
tous les efforts de l’homme pour les soumettre et modifier leur
n a tu re , ils sont jusqu’à un certain p o in t, dans les districts qui
se trouvent en contact avec les grands centres de population,
susceptibles de progrès. Ainsi la m er dont les eaux bordent
la côte d’un puissant État passe à bon droit pour appa rtenir à
tel ou tel pavillon, et les navires qui la parcourent sont obligés
de rendre honneur à ce symbole, à moins qu’ils ne soient assez
forts pour le braver. Il en est de même des Bédouins qui portés
sur « les vaisseaux du désert » je tten t l’ancre près des côtes de
la civilisation. Telal, par l’intermédiaire de ses gouverneurs,
inspire aux nomades une crainte salutaire e t les assujettit à son
obéissance.
Nous entrâmes dans la vallée le 24 ju in . Heureux de nous
trouver, enfin sur la route de Djowf, nous prêtions un e oreille
charmée aux pompeux récits que nos Bédouins, fatigués comme
nous du régime de dattes sèches e t de gâteaux cuits sous la