
nous l’apprîmes des habitants, gens incultes et grossiers qui n’ont
presque aucun rap p o rt avec le reste du monde, et ne connaissent
même pas les formes les plus simples des prières mahomé-
tanes, bien q u ’ils résident au milieu du territoire wahabite. Ils
nous questionnèrent sur les événements d’Oneyzah, comme fera
it un paysan du comté de Lincoln qui demanderait des nouvelles
de la guerre du Mexique ou de l’expédition de Cochin-
chine. Abou-Eysa nous apprit que, pendant ses excursions, il
avait rencontré d’autres asiles de même genre, privés de toute
communication avec les hommes et perdus dans l’immensité de
la solitude. Enfin il existe, surtout dans le désert du sud, des
oasis qui ne connaissent d’autres hôtes que les oiseaux et les
gazelles.
Une longue route sinueuse nous conduisit au fond de la vallée;
à notre arrivée, hommes et femmes vinrent considérer les Persans’;
et leur demandant un prix double pour leurs fruits et leur
lait de chamelle, ils se montrèrent un peu moins simples qu’on
ne l’aurait cru d’abord. Quant à nous, comme nous passions
pour des Arabes, ils nous offrirent gratuitement leur hospitalité,
qui était, on le comprend, fort restreinte. La jalousie du
naïb s’éveilla, et il s’emporta contre les Arabes, ces « infidèles »■
qui manquaient aux égards dûs à de pieux pèlerins revenant
« de la maison de Dieu. » Ce'fut là pendant toute la route son
thème favori; il paraissait penser que son titre de hadji ou
pèlerin, lui donnait droit partout aux plus délicates attentions;
que le lait, les oeufs, devaient lui être offerts pour rien , sans
préjudice des honneurs. C’est ainsi, disait-il, que l ’on tra ita it en
Perse ceux qui revenaient de La Mecque, e t la chose n’est pas
impossible, ca r la vénération nourrie pour les lieux saints
comme pour ceux qui les visitent, s’accroît en proportion de la
distance. Le noble Shirazite ne ta rissait pas su r le compte des
musulmans de l’Inde et de la Perse, sur les Arabes e t surtout
les Nedjéens. Ses remarques étaient aussi élogieuses pour les
premiers qu’amères e t blessantes pour les seconds ; heureusement
ses compagnons de voyage ne pouvaient les comprendre,
car il les exprimait en hindoustani.
Le chef de Wasit nous fit l ’honneur de nous inviter à venir
dans son jardin, où nous nous reposâmes une couple d’heures à
l’ombre d’épais figuiers. Les fruits et les légumes que l’on cultive
ici, sont de beaucoup inférieurs à ceux du Kasim pour la
grosseur et la qualité.
Sortir de cette oasis n’était pas chose aisée ; facilis descensus, etc.,
pensai-je; aucun chemin n ’avait été tracé dans la direction
que nous devions suivre ; chacun de nous poussait sa monture
rétive du côté où la pente sablonneuse lui semblait le moins
difficile à gravir; chameaux et cavaliers, après s’être longtemps
escrimés en vain, roulaient ensemble au fond de la vallée;
quelques-uns de nos compagnons versaient des larmes de dépit;
d’autres qu i, plus heureux, étaient arrivés au b u t, riaient
des mésaventures de ces pauvres diables. Abou-Eysa a llait des
uns aux autre s, les dirigeant et les encourageant ; enfin, avec
l’aide de Dieu, nous atteignîmes heureusement le bord septentrional
de la pente escarpée.
Éclairé par les rayons ardents du soleil, le désert ressemblait
à une mer de feu; nous avancions à pas lents dans la plaine sablonneuse,
e t, une heure seulement avant la nuit, nous ape rçûmes
un sentier, ou plutôt u n sillon qui, descendant toujours,
conduisait à la ville de Zulphah. Plus loin à l ’horizon s’élevaient
les abruptes sommets du Djebel Toweyk, dont nous avions tan t
de fois entendu parler. Nous saluâmes, pleins de joie, ces montagnes
singulières et grandioses qui forment le coeur même de
1 Arabie centrale, en sorte que l’explorateur, après les avoir
traversées, commence, pour ainsi dire, son voyage de retour.
A nos pieds s’étendait la vallée profonde qui relie le Nedjed
au nord de la Péninsule, et se prolonge ou peu s’en fau t jusqu’à
Bagdad. Le soleil venait de se coucher quand nous laissâmes
derrière nous l ’océan de sable avec ses énorines vagues amoncelées
par le vent du désert. Barakat et moi, nous avions une
grande avance sur la caravane, grâce aux muscles vigoureux de
nos dromadaires ; nous les laissâmes donc paître à leu r guise
le theman, herbe odoriférante, aux gracieuses déchiquetures,
qui croît en abondance dans le Nedjed ; pendant ce temps nous
promenions nos regards, tantôt su r l’immense vallée, tantôt sur
la ville de Zulphah, dont les rempa rts s’élevaient devant nous
à une distance d’un mille environ, tan tô t su r les montagnes
du Djebel Toweyk, semblables aux murailles d’une gigantesque
forteresse.
La n u it se faisait noire lorsque nous arrivâmes aux premières