
dévouement et de fidélité? Peu leur importe de soutenir la cause
des Turcs, des Égyptiens, des Anglais ou des Français; ils se
vendent au plus offrant, et ta n t que, pour employer une de leurs
expressions favorites, « ils auront l’estomac rempli de la n o urri-
« ture qui leur a été donnée, »ils serviront celui quilespaye, à condition
toutefois de ne courir aucun risque en agissant ainsi. Ils
fourniront des chameaux, apporteront de l’eau fraîche, peut-être
même pousseront-ils la vaillance jusqu’à ravager un village voisin,
ou attaquer un clan mal défendu, quand ils espéreront re tire
r de leurs exploits un butin abondant. N’ayant d’autre mobile
que le salaire et le pillage, ils sont toujours prêts à se tourner
contre leurs anciens alliés, lorsqu’ils pensent y trouver quelque
avantage. »
Telles étaient les paroles de Métaab, et je ne pouvais m ’empêcher
de rire avec lui en songeant à l’échec humiliant qui avait
suivi les efforts de Lascaris et de son compagnon Fath-Allah.
Pendant sept années, ils avaient jeté à pleines mains 1 argent de
le u r royal maître pour gagner l’alliance des nomades, e t leurs
folles largesses n’avaient fait que les couvrir de ridicule aux
yeux de ceux mêmes qui en étaient l’objet. Les tribus du désert
syrien, les clans voisins du Djebel-Shomer gardaient encore le
souvenir des tentatives insensées d’Abbas-Pacha; Métaab en avait
appris tous les détails de la bouche des Rualas que leurs affaires
appelaient à Hayel. Quant aux merveilleux combats racontés
p ar Lamartine dans son second volume sur la Syrie, ils n ’ont,
a u tan t que j ’ai pu l’apprendre, aucun fondement historique* et
personne en Arabie n’avait conservé le moindre souvenir de la
bataille livrée pendant sept jo u rs sur les bords de 1 Aasi, ni des
expéditions dirigées contre la P erse et leBeloutchistan. li en est
de même de la prétendue ambassade envoyée au monarque wa-
habite, et des autres épisodes dont la fertile imagination de l’au teu
r a émaillé son histoire. Mais quant aux présents offerts et
reçus, aux libéralités faites aveol’or de lÉgypte, on s en souven
a it assez, l’affaire ayant été magnifique pour les Bédouins.
Les largesses d’Abbas-Pacha furent acceptées avec joie, les tr ibus,
par des serments solennels, s’engagèrent à un dévouement
qui était bien loin de leur coeur. Quand la nouvelle de la mort
du pacha parvint en Syrie, on p u t se convaincre que ces promesses
n ’avaient pas laissé plus de trace dans la mémoire des
nomades que le souffle de la brise à la surface de l’eau. Feysul-
ebn-Shaalan se débarrassa p a r le poison du fils de son bienfaiteur,
et ce lâche attentat mit fin à l ’alliance rêvée p a r l ’Égypte.
Les profondes combinaisons du vice-roi n ’aboutirent q u ’à le faire
passer dans la Péninsule pour un insensé, triste résultat auquel
doivent s’attendre tous ceux qui seraient tentés de suivre son
exemple.
Abbas Pacha ne fut pas plus heureux dans l’alliance qu’il essaya
de conclure avec les Wahabites; mais pour éviter cette
faute, il lui aurait fallu connaître parfaitement l’élat politique de
l ’Arabie intérieure. LeNedjed obéit, il est vrai, à lin pouvoir centra
l basé sur la religion et le patriotisme ; il pouvait offrir un
solide point d’appui au levier égyptien, et quoique ses habitants
soient rudes e t fâcheux, il serait injuste de les comparer aux
sauvages Bédouins. Mais, ce que le vice-roi ne savait pas, c’est
que les Wahabites regardent les habitants du Caire comme des
païens et des infidèles, dont l'alliance est une souillure capable
d’attirer la colère divine. Ils n ’ajoutèrent pas plus de foi aux
protestations d’orthodoxie d’Abbas Pacha que les Égyptiens
eux-mêmes à la conversion apparente de Kléber et de Bonaparte.
Les vrais croyants de Riad repoussèrent les offres flatteuses
des mécréants avec plus de fermete que n ’en montrè rent
les Israélites du temps de Jérémie; en outre, les Nedjéens à
peine guéris des blessures que leur avaient faites Mehemet-Ali et
Ibrahim Pacbà, haïssaient dans le vice-roi le petit-fils de l’un, le
neveu de l ’autre. Leur austérité cependant n’alla pas ju sq u ’à
renvoyer les messagers qui venaient à eux les mains pleines de
présents; laissant croire que plus ta rd ils consentiraient à l’alliance
proposée, ils séduisirent p a r de vaines promesses le corbeau
du Nil, qui, satisfait du succès de sa diplomatie, remplit de
ses trésors les coffres du Nedjed et couvrit de pierreries et de
bijoux les filles de Feysul. Ainsi les Wahabites, comme les Bédouins,
mais par des motifs différents, acceptèrent les dons de
1 Egypte et se rire n t de celui qui les leu r offrait.
En recherchant l’alliance des Wahabites, Abbas-Pacha commettait
une autre e rre u r plus grave et plus funeste. Il ne connaissait
pas, il ne pouvait pas connaître l’immense réaction qui
commençait à se produire dans l’Arabie entière contre la tyrannie
intolérable de la dynastie wahabite; il s’exagérait de beau