
sens, plus religieux que l’Anglais, mais ils se permettent des
blasphèmes et des irrévérences fort rares dans la Grande-Bretagne.
Cette observation éclairera d’un jo u r nouveau le caractère
des Arabes, qui, du reste, présente plus d’une analogie avec celui
des Anglais. Quelques voyageurs ont prétendu que le Persan
est le Français de l’Asie ; ces paroles ont été dites un p eu à la
légère, je suppose ; c a r la comparaison n’a rien de flatteur pour
u n Européen ; on pourra it, je c ro is , rega rde r à plus ju ste
titre les Arabes comme les Anglais du monde oriental.
L’amour de la liberté nationale et individuelle, la haine des ré glementations
in u tile s, de l ’intervention administrative, un
grand respect pour l’autoiité , joint à une appréciation clairvoyante
des vues et des erreu rs des princes, beaucoup de bon
sens pratique, la passion des longs voyages, l’esprit de commerce
e t d’entreprise, le courage à la guerre, la vigueur en temps de
paix, une indomptable persévérance, voilà quels sont les traits
du génie anglais, e t tous s’appliquent également aux Arabes.
Comme la plupa rt des généralités, cette assertion admet sans
doute des exceptions nombreuses ; mais l’exactitude en sera, je
l ’espère, pleinement démontrée par l’histoire morale e t politique
des provinces que nous allons parcourir ; en même temps, les
caractères des individus avec lesquels nous nous trouverons en
rapport aideront à rectifier ce que notre conclusion pourrait
avoir de trop absolu.
Le lendemain de notre arrivée, c’est-à-dire le 1" ju illet, Gha-
fil fit mettre à notre disposition une petite maison du voisinage,
qui appartenait à l’un des clients du noble patricien. Notre nouvelle
habitation se composait d’une petite cour et de deux
chambres, situées l’une à gauche, l ’au tre à droite, qui devaient
nous servir d ’appartement et de magasin ; le to u t éta it entouré
p a r u n m u r dont la porte se fermait avec une se rrure e t un v e rro
u . Il n ’y avait point de cuisine, mais nous n’en avions guère
besoin, ta n t les habitants se montrent ici hospitaliers envers les
voyageurs ; si notre demeure n ’était pas spacieuse, elle nous offrait
du moins ce que nous désirions le plus, la re tra ite et les
charmes de la vie privée ; enfin notre hôte avait voulu la louer
à ses frais.
Nous y transportâmes aussitôt notre bagage et nos marchandises.
Nous avions déjà reconnu que le pays n’était pas assez civilisé
pour nous permettre d’exercer nos talents en médecine ;
ne rencontrant pas chez les malades, le degré de culture in tellectuelle
qui fait apprécier les efforts du docteur et rend ses
soins utiles, nous résolûmes de nous adonner au commerce et
de nous défaire le plus p romptement possible de la lourde pacotille
qui nous avait si fort embarrassés dans la première partie
de notre voyage.
Si nous désirions vendre, lés habitants de Djowf, hommes,
femmes e t enfants étaient encore plus impatients d’acheter. Dès
le point du jo u r, une foule nombreuse stationnait à notre porte,
et du matin au soir, nous étions témoins des scènes les plus plaisantes,
scènes dans lesquelles se déployaient à la fois l’avarice
sordide des Arabes, leurs ruses innocentes-et leu r simplicité enfantine.
Mouchoirs, étoffes, verroteries, couteaux, peignes, miroirs,
que sais-je encore? — car notre assortiment éta it des plus
variés,—trouvèrent un débit prodigieux; les uns nous payaient
comptant, les autres demandaient du crédit, mais je dois leur
rendre cette justice que les dettes de cette n a tu re fu ren t acquittées
très-exactement; les fournisseurs de l ’aristocratie an glaise
ou parisienne, au moins autrefois, n’étaient pas toujours
aussi heureux.
Notre commerce nous mettait en rapport avec toutes ! es classes,
je dirais presque avec tous les individus de la ville. Des paysans
de Sekakah, de Kara et d’autres bourgs figuraient même
parmi notre clientèle, car la renommée, dont la trompette est
portée à l’exagération dans tous les climats, avait répandu le
b ru it que nous étions des personnages fort importants et que
nous possédions une riche pacotille. L’affluence é ta it donc si
grande dans notre maison que bientôt il s’y trouva p lus d’acheteurs
que de marchandises.
Ghafil, cependant, ava it recours à mille artifices pour nous
empêcher de vendre n otre café, qu’il désirait vivement accapare
r pour son propre compte. Dès qu’une offre nous était faite,
il envoyait u n de ses p arents ou de ses amis nous conseiller de
refuser, e t bien que son manège fût assez visible, nous préférâmes
fermer les yeux afin de ne pas désobliger notre principal
hôte, dût-il en ré su lte r pour nous une p erte légère.
Je dis notre principal hôte; car tous ceux qui avaient un
dîner à offrir ambitionnaient l ’honneur de devenir aussi nos