
gager avec elle une amoureuse conversation, et reçut de si gracieux
encouragements, qu’une heure après, il la demandait en
mariage. Lçs parents, avec les démonstrations de la joie la plus
vive, consentirent à lui donner leur fille. Quand arriva le moment
du départ, la nymphe aux yeux noirs, montée su r un
maigre chameau, et suivie de son père, vint prendre place auprès
du Naïb, qui to u t le long du chemin, je tan t des oeillades enflammées
sur sa belle compagne, lui prodiguait les promesses
les plus flatteuses. Celle-ci l ’écoutait avec le pudique embarras
qui sied à une jeune vierge ;• enfin, après s’être joué à son aise
du vieux Céladon, elle prétendit avoir laissé au camp Solibah un
objet de grande valeur qu’il lui fallait aller chercher sur-le-
champ. Nous venions justement de faire halte pour le repas du
matin, elle s’éloigna en toute hâte, avec son père, en s’engageant,
— parole de femme, — à être de retour avant que nous nous
fussions remis en marche. L’amant plein de confiance attendit
pendant deux heures l’objet de son tendre attachement, mais
ni fiancée ni beau-père ne rep a ru ren t, et le Naïb dut se consoler
en ' songeant aux nombreuses épouses qui attendaient
impatiemment son re to u r à Meshid-Ali. Il remonta tristement
su r son dromadaire, se proüiettant d’ajouter un nouveau chapitre
à la longue série d’anecdotes, dont il se plaisait, comme
tous les gens de mauvaises moeurs, à appuyer ses théories sur
les instincts trompeurs du beau sexe.
Nous avions traversé la ville dans toute sa longueur, et suivi
plusieurs ru e s , dont le sol avait été peu de mois auparavant labouré
par les torrents. Devant nous, au sud-est, se déroulait la
longue vallée, à notre droite s’étendait le Nefoud, à gauche le
Djebel-Toweyk et la province de Sedeyr. Un air assez vif soufflait
su r la montagne, et le voyage fut ce jo u r-là beaucoup plus
agréable que la veille. Nous continuâmes à longer la pente de la
vallée ju sq u ’au moment où nous aperçûmes en face de nous un
promontoire rema rquable ou « khosheym, » littéralement petit
nez, nom générique appliqué ici à tous les rochers abruptes qui
surplombent au-dessus des ravins. La vallée que nous parcourions
se sépare en deux bras, dont l’un s’étend au sud-est ju s qu’à
Shakra, capitale du Woshem, tandis que l’autre traverse
le Nefoud et le Kasim. Les laissant tous deux en arrière, nous
fîmes un détour pour pénétrer dans une gorge étroite qui se
dirige à angle aigu vers le nord-est, et nous parvînmes ainsi aux
plateaux du Djébel Toweyk.
Cette montagne, à proprement parle r, constitue le Nedjed.
C’est une chaîne large et plate, qui a la forme d ’un croissant
gigantesque; son segment central qui est le plus large appartient
à la province de l’Ared; la pointe nord-est touche au Sedeyr, et
l’extrémité opposée borde le Woshem. La montagne se prolonge
ensuite dans la direction du sud-ouest, derrière la route
des Pèlerins, qu’elle séparé de la Wadi-Dowasir. Les basses
terres du Kasim sont ainsi comprises dans le demi-cercle du
croissant; tandis que l’Hasa à l’o r i e n t , l’Yemamah e t l’Afladj
au midi, l ’interminable vallée de Wadi-Dowasir au sud-ouest
en forment les dépendances. S’il m’est permis d’émettre une appréciation
sur la h au teu r du plateau principal, soit d’après la
végétation, le climat, et d’autres caractères locaux du même
genre, soit d’après le calcul approximatif de l ’ascension, je dirai
que, suivant moi, elle varie d’un à deux mille pieds au-dessus
du niveau de la Péninsule, e t qu’elle peut atteindre ainsi à trois
mille pieds au-dessus du niveau de la mer. Ses plateaux les plus
élevés se trouvent dans le district de Sedeyr, où nous les franchirons
avant peu. Le centre de la chaîne et son rameau du sud-
ouest sont notablement inférieurs. Le Djébel Toweyk forme le
véritable noeud de l’Arabie, son Caucase pour ainsi dire. Sous le
rapport politique et national, il est encore le pivot de presque
toute la Péninsule. C’est à lui seul que le nom de « Nedjed »
s applique exactement, bien que cette dénomination soit souvent
donnée p a r les Arabes eux-mêmes à toutes les provinces intérieures
qui sont maintenant soumises à l’autorité wahabite;
voilà comment le terme de Nedjed a été étendu à l’Yemamah,
lHarik, lAfladj, au Dowasir et au Kasim; cependant c’est dans
un sens plutôt politique que. géographique. Les habitants de la
Syrie, de Bagdad et de l ’Égypte emploient souvent ce mot pour
désigner, d une manière générale, tout le pays qui est séparé
p a r la ceinture de déserts du reste de la Péninsule ; ils classent
ainsi le Djébel-Shomer e t même le Djowf, le Koweyt e t l’Hasa
dans le Nedjed. Mais c’est là une e rreu r condamnée p a r les
Arabes et qu’il faut effacer de nos cartes.
Je ferai observer ici que les Européens, lorsqu’ils voyagent en
Orient, doivent se garder de prendre toujours dans un sens lit