
plète, car le nom respecté du roi éloigne les ennemis et les
maraudeurs.
Les Bédouins nous parlaient sans cesse de Telal; ils vantaient
sa fermeté, sa justice, son active vigilance, ses talents m ilita
ire s; mais ils déploraient amèrement les entraves qu’il
apporte à la liberté des nomades, la sévérité avec laquelle il
réprime le vol, le pillage, le meurtre, droits innés de l ’habitant
du désert. On pense bien que, contrairement à l’intention de
nos Bédouins, de telles plaintes accroissaient notre estime pour
le p rin c e , au lieu de la diminuer. Nous ne pûmes cependant
obtenir de nos guides aucun renseignement précis sur son histoire
personnelle et sur sa situation politique. Etait-il monarque
absolu ou seulement vice-roi ? Avait-il fondé son empire ou
le tenait-il de ses ancêtres? Quelle était l’étendue de ses États,
le caractère des habitants? Ces questions furent inutilement
posées à Salim, Ali e t Djordi; leurs idées et leu r langage devenaient
d’une confusion extrême, lorsqu’ils voulaient aborder
des sujets si fort au-dessus de leur portée. Il nous fut impossible
d’en rien t ir e r , sinon que le puissant chef du Djebel-
Shomer résidait dans une ville appelée Hayel, située vers le sud-
est; que su r ses domaines il ne souffrait ni pillage ni violation
de l ’ordre public; et qu’enfin, à p a rtir de la Wadi-Serhan, partout
à l ’orient et au midi, sa parole faisait loi.
Nous savions que l’Arabie centrale appa rtena it, au moins
en p a rtie , à la dynastie « wahabite. » Mes lecteurs connaissent
sans doute trop bien l’acception générale de ce n om, pour
qu’il soit nécessaire de l’expliquer ici ; plus ta rd je donnerai
d ’amples détails su r u n peuple déjà célèbre et appelé peut-être
dans l ’avenir .à une renommée plus grande encore. J ’avais aussi
entendu parle r de Telal en Syrie ; les uns le confondaient avec
les Wahabites, les au tre s le représentaient , comme roi d’un
Éta t p articulie r. De tous ces oui-dire, j ’avais conclu que ce devait
être une sorte de gouverneur provincial; conjecture qui
n 'é ta it ni complètement vraie, ni complètement fausse.
Depuis cinq jo u rs nous avions quitté les puits de Wokba;
l’eau renfermée dans nos outres n ’offrait plus à notre soif
qu’une vase fétide, et rien n’annonçait le voisinage d’une
source. Enfin, vers midi, nous aperçûmes quelques monticules
de sable ; Salim tin t conseil avec ses compagnons et dirigea
la marche de ce côté en nous disant : « Tenez-vous ferme, car
vos chameaux vont s’effrayer e t se mettre à bondir. » Je ne
comprenais pas bien pourquoi nos chameaux se ra ien t effrayés;
mais après avoir traversé les petites collines dont je viens de
parler, je découvris cinq ou six tentes noires, de l’apparence la
plus misérable, réunies autour de quelques puits creusés dans
le sol sablonneux. Salim avait eu raison de nous conseiller d’être
sur nos gardes; nos sottes montures n ’eurent pas plus tôt
aperçu les habitations qu’elles furent saisies de peur comme si
elles n’avaient jamais rien vu de semblable. Les malheureux
chameaux détalèrent avec des bonds frénétiques, e t leurs sauts,
joints au fou. rire que nous ne pouvions réprimer, — car les
gambades d’un chameau ont au lan t de grâce que celles d’une
vache, — faillirent nous faire vider les arçons. La soif cependant
triompha de leur panique ; cessant le u r course désordonnée, ils
s’approchèrent des puits e t aspirèrent avidement la fraîcheur
de l ’eau.
Dès que nous eûmes mis pied à te rr e , nous fûmes entourés
p a r un petit groupe de femmes et de vieillards, appartenant à la
tribu des S herarat, qui s’empressèrent de souhaiter la bienvenue
à « leurs honorables hôtes, » to u t en les accablant de
questions importunes sur le motif e t le te rm e de leu r voyage.
Ils étaient fort étonnés de rencontre r sur une route habituellement
peu suivie p a r les voyageurs, des marchands de Damas
qui ne craignaient point de b raver la chaleur e t la fatigue du désert.
Mais nous étions trop harassés pour nous a rrê te r à de longs
discours ; aussi laissant nos Bédouins puiser l’eau destinée à leu rs
chameaux, nous demandâmes la permission de nous repose r
quelques instants; ce qui nous ayant été accordé, on m it à n o tre
disposition une tente basse et é tro ite , construite de manière à
intercepter complètement les brûlants rayons du soleil de midi.
Nous nous y étendîmes su r le sable , nous proposant de dormir
jusqu’à ce qu’il plût à nos compagnons de nous réveiller. Une
heure ou deux a p r è s , ils v in ren t, en effet, sans pitié pour notre
lassitude, nous avertir qu’il était temps de continuer notre ro u te ;
à cela nous répondîmes p a r u n refus positif ; nos o u tre s étaient
pleines, nous avions peu de chemin à faire p o u r gagner les États
de T e la l, rien ne nous forçait plus à voyager avec cette hâte
furieuse. Force fut à Salim lui-même de reconnaître la justesse