
d’une secte particulière, les autres les tiennent pour infidèles,
mais le sentiment public ne leur est généralement pas hostile,
e t chez les Wahabites eux-mêmes, ils excitent moins de haine et
de mépris que les Juifs. J ’ai rencontré dans le Nedjed des
hommes instruits, —in stru its comme on l’est dans ces provinces
reculées, — qui s’imaginaient ingénument.que l’univers entier
s’est depuis longtemps converti au mahométisme ; le christianisme
à leurs yeux était un culte éteint, ils ne croiaient pas devoir
l’honorer d’une aversion plus vive que celle du théologien
moderne pour le paganisme grec ou assyrien.
A la faveur des ténèbres qui enveloppent ici l’histoire des r e ligions
et des peuples, des voyageurs chrétiens peuvent visiter
l’Arabie sans éveiller de soupçons. Notre négligence à suivre les
prescriptions du Prophète, ne nous empêchait pas d’être regardés
comme des mahométans; on nous prenait souvent pour des
Turcs, des Kurdes, ou des Albanais, gens qui, par leur indifférence
religieuse, ont acquis, dans le coeur même de la Péninsule,
une célébrité peu enviable. Mes amis du Nedjed allèrent
plus loin; mes yeux bleus, ma chevelure blonde leur firent supposer
que j ’étais u n officier déserteur de l’armée ottomane, et
que, sans doute à la suite d’une infraction grave, j ’avais cherché,
su r le te rritoire arabe, un abri contre le châtiment de la loi militaire.
D’au tre s , ayant entendu parle r des écoles de médecine
égyptiennes, me supposaient natif des bords du Nil ; quelques-
u n s allaient me chercher une patrie jusque dans le Maroc, et
comme tous les habitants de ce pays sont nécessairement des
magiciens, je devins u n magicien bon gré mal gré. Les seules
questions que la politesse permette d’adresser à un. étranger
consistaient à demander d’où je venais, où j ’allais, quelle était
la n atu re de mes affaires. A cela, nous répondions que nous venions
de Syrie et que nous nous rendions à l a côte orientale.
Suivant certains Arabes, la Syrie, comme le monde presque entie
r, est occupée p ar les seuls mahométans; en conséquence'ils
n’hésitaient pas à voir en moi u n disciple du Prophète. D’autres,
se plaçant à un point de vue opposé, prétendaient que les m u sulmans
de Syrie venaient d’être exterminés p a r les chrétiens,
version ta n t soit peu libre, mais très-répandue dans le Nedjed,
des massacres de 1860. Aux yeux de ces savants annalistes,
nous redevenions des chrétiens. De plus, une tradition arabe
prétend que l’art médical appartient exclusivement aux nations
chrétiennes qui l’ont reçu des Grecs en héritage. Ce motif nous
faisait ranger parmi les adorateurs du fils de Marie. Enfin, la
majorité, même dans les provinces wahabites, ne prenait nul
souci, ne se livrait à aucune conjecture à ce sujet; il lui suffisait
de connaître notre position dans le monde temporel; la
place qui nous était réservée dans l’éternelle demeure lui importait
peu. Mais il ne convient pas de retarder le souper et de
fermer plus longtemps l’oreille1 à la cordiale invitation de Foleyh,
qui se tient à la porte de la ville pour attendre la troupe
de ses hôtes affamés, grossie des quatre derviches, cause innocente
de cette interminable digression.
Nous arrivions sous les murs d’Eyoun, ville qui renferme
au moins dix mille habitants. Située à la jonction des grandes
voies de communication du Nord et du Sud, cette place a
une grande importance stratégique ; aussi les Arabes Font-ils
fortifiée avec soin;; une citadelle massive la domine, d’épais
remparts,, de hautes tours, assez semblables aux cheminées de
nos fabriques, la protègent de tous côtés. Un système de défense
analogue a, du reste, été établi dans la plupart des gros villages
de Kasim. Nous déposâmes notre bagage auprès de la porte du
Nord, et le laissant à la garde de trois de nos compagnons, nous
nous dirigeâmes vers la demeure de Foleyh.
Après avoir dépassé une large citerne située au centre de la
ville, nous longeâmes pendant quelques minutes les murs de la
citadelle, monument d’apparence fort ancienne, et nous aperçûmes
un magnifique jardin, rempli des plus beaux palmiers
que j'aie jamais vus. Sous leur ombrage avait été préparé un
abri commode, capable de recevoir au moins quarante personnes;
des nattes et des tapis étaient disposés pour les hôtes,
qui prirent place, selon leur rang, dans le khawah improvisé,
puis le café fut servi par les jeunes garçons de la famille. Foleyh
se tenait à l’entrée pour surveiller la distribution de la précieuse
liqueur ; il avait échangé son poudreux costume de
voyage contre de blanches chemises, — on en met ici deux et
trois l’une sur l’autre, — revêtu une magnifiqne robe écarlate,
et sous ces riches habits, il avait véritablement très-
bon air. Le souper, composé comme toujours de riz, de mouton,
de légumes hachés, d’épices et de dattes, fut servi en temps