
mettez-les à l ’oeuvre, nul ¡n’est aussi vil, aussi corruptible, aussi
déloyal. Un Osmanli, sans esprit et sans courage dans toutes les
occasions qui n’intéressent pas directement sa convoitise o u sa
sen su a lité , ne sera pas moins, en théorie, aussi habile qu’un
Metternich, aussi humain qu’un Wilberforce. Video meliora pro-
hoque, deteriora sequor, telle devrait être la devise de ce peuple.
La bizarre association d’une intelligence droite et d’un coeur dépravé,
explique le jugement ¡favorable qu’ont porté sur les Turcs
tous ceux qui ont eu avec eux des relations purement diplomatiques,
ou qui les ont vus seulement dans les salons de Paris et
de Gonstantinople. Quand on a partagé avec ces élégants fonctionnaires
u n e bouteille de bordeaux, to u t en devisant agréablement
su r des sujets de litté ra tu re ou de philosophie, on se
demande comment les affreux événements qui ont excité en
Europe une indignation profonde., — les maisons brûlées, les
villages détruits, les scènes odieusesde viol e t de massacre, —
peuvent être l ’oeuvre d’un gouvernement dirigé p a r des hommes
si intelligents, si doux, si aimables. De même une candide jeune
fille refu sera de croire que le b eau gentleman qui a dansé avec
elle, qui a tourné .complaisamment les feuillets de ¡son cahier de
musique,¡soîtf impétueux jockey qui expose sa vie pour g agner le
p rix de la course, ou l'impitoyable planteur qui to rtu re un misérable
nègre. Les diplomates tures, outre le talent extraordinaire
qu’ils possèdent pour dissimuler-et tromper, savent encore
merveilleusement découvrir le côté faible de ceux avec lesquels
ils traitent:; ils connaissent l ’heure où ils doivent s ’adresser à l ’a-
m o u r-p ro p re , à l’intérêt ; prodiguer les promesses ¡et les beaux
discours ; ils amorcent les Anglais avec le commerce, les Autri-
trichiens avec des combinaisons politiques, les Français avec d a-
droites flatteries ; e t l ’appât ¡est sihabilement disposé, choisi avec
ta n t dedicernementque le poisson nemanque jamais d’y mordre.
L’homme malade 1 administre !ui-mêm.e le narcotique .à ses docte
u rs en se r ia n t de leu rs prescriptions médicales. Mais nous
sommes dans le Kasim, loin des finesses de langage et de 1-ad-
ministration ¡vicieuse des Turcs ; malheureusement nous y r e trouvons
un gouvernement qui ne ren d passes sujets beaucoup
plus heureux.
i . fi abri quel -donné à ltempiEe ottoman par tes Anglais.
Barakat et moi avons fait nos approvisionnements au campement
des pèlerins, -et le soleil étant levé depuis u n e heure, nous
pensons q u ’il est temps de visiter le marché, qui ne s’ouvre
guère plus tôt. Comme il nous fallait passer devant notre demeure,
nous y déposons les comestibles que nous venions d’acheter.
Longeant ensuite la grande ru e de Bereydah, nous t r a versons
.une porte en forme d’arche qui sépare la halle du q u a rtier
voisin. Les premières boutiques que nous rencontrons sont
celles des bouchers, où l ’on voit entassés des quartiers énormes
de chameau et de mouton. Tenues fort-salement, elles seraient
u n véritable foyer d’infection, si l ’a ir de l’Arabie était moins pur,
le climat moins salubre. Nous pressons le pas p o u r sortir de ce
cloaque e t nous arrivons devant le magasin de vêtements; les
pantoufles d ’Égypte, les manteaux de Bagdad, les châles de Syrie,
y sont étalés au milieu des étoffes de fabrication indigène; ici,
comme dans toutes les villes d’Orient, les marchands qui vendent
les mêmes objets-sont groupés les uns auprès des autres;
système dont les avantages, en somme, surpassent les inconvénients,
au moins pour le s petites localités. Les capitales de
l’Europe demandent, je le sais, une disposition différente, U serait
peu agréable pour un habitant d’Hyde-Park d’avoir à tr a verser
Londres pour aller, dans le voisinage de la Tour, acheter
un chapeau. Mais-que sont les plus importantes cités arabes ou
syriennes comparées A Paris et à Berlin, voir même à Marseille
■et à Manchester?Néanmoins dans une foule, ce groupement des
industries .ne s e rt pas A grand’chose ; les rues à cette heure du
jo u r sont encombrées au point que l’on étouffe, e t p ar surcroît
un gigantesque chameau s ’avance lourdement comme u n vaisseau
mal gouverné ; il porte sur son dos uneplanche qui m enace
les têtes des passants, ou deux énormes charges de bois à b rûler
aussi grosses que son corps, -et il balaye devant lui, hommes,
femmes ;et enfants, tandis que le conducteur penché su r la bosse
regarde avec une suprême indifférence ce tumulte dont il est
cause. ¡De temps à autre, la ru e est encombrée par une file en tière
de-ces animaux, attachés les uns aux autre s, et fort incommodes
quand on les rencontre dans un passage ¡étroit.
Nous nous sommes frayé une route au milieu de ces obstacles,
e t nous nous trouvons maintenant devant les boutiques des selliers
et des cordonniers ; nous arrivons ensuite A celles des