
presque de ma résolution et que j ’étais ten té de m écrier : «Nous
nous sommes avancés assez loin, demeurons ici. * I
Mais je me ressouvins de cette parole du Dante ; Tra Beatnce e
teè questo m u ra , et je repris courage. Je n’étais p as venu jusqu au
coeur de l’Arabie pour manquer de courage au moment d accomplir
le reste de ma tâche. Dès que Télal se fût re tiré , je priai
Z a m i l de m’apprendre où étaient les compagnons qui devaient
faire route avec nous. H me répondit que, d’après les ordres du
roi, ils se présenteraient le jo u r même à notre demeure.
Vers le soir, en effet, tro is hommes frappèrent a notre p o rte .
c’étaient nos nouveaux guides. Ils appartenaient au Kasim,
comme l’attestaient leur petite taille et leur teint bronze;le plus
âgé q u i s’appelait Moubarek, était natif de Bereydah; il nous
d it que le départ avait d’abord été fixé au lendemain 7 septembre,
mais que plusieurs de leurs compagnons s’étant trouves
en re ta rd , on l’avait remis au jo u r suivant. Pour un prix d une
incroyable modicité, eu égard même à la valeur considérable
de l ’argent dans ce pays, Moubarek consentit à nous louer deux
chameaux, etnous fûmes charmés de voir que les manières polies
et le langage affable de nos guides nous promettaient un
V°NoSspréparatifs, qui consistaient à recouvrer quelques créances
e t à emballer notre pharmacie, furent bientôt terminés. Il ne
nous resta it plus que le soin, pénible et doux a la fois, de faire
nos adieux à nos amis. Métaab avait quitté Hayel quelques jours
auparavant, Télal avait déjà pris congé de nous, mais son frère
Mohammed nous exprima, d’une voix émue et pleine de franchise,
ses reg rets de notre départ. Un grand nombre de clients
et d’amis le riche marchand Doheyl, le juge Mohammed, notre
première connaissance le chambellan Seyf, l’officier de cavalerie
Saïd u n e foule de gens du palais et d’habitants d Hayel, hommes
libres ou esclaves, blancs ou noirs, - car les nègres ne sont pas
ingrats envers ceux q u i les traiten t avec bonté, - vinrent nous
témoigner leu r affection, nous apporter leurs souhaits et nous
demander de revenir bientôt parmi eux. J ’aurais été heureux de
penser que je reve rrais un jo u r ces amis sincères, mais 1 avemr
devait en disposer autrement.
Abdel-Mahsin, accompagné de Bedr, le fils aîné de T elal,passa
au p rè s de nous un e derniè re soirée. Il avait été pour nous
rempli d’attentions et de prévenances ; son esprit cultivé, son
agréable conversation avaient charmé notre séjour et banni le
sentiment de solitude qui, même au milieu de la foule, oppresse
le voyageur sur une terre étrangère. Bedr, lui aussi, nous inspirait
une vive sympathie ; sa politesse et ses manières modestes
auraient fait honneur à un prince d’Europe ; nous l’avions guéri
d’une fièvre iégère, et notre jeune malade,—qui rappelait beaucoup
ce que son père avait dû être au même âge, — nous avait
toujours montré depuis une reconnaissance et un naïf attachem
en t, bien rares parmi les enfants de haute naissance. Abdel-
Mahsin nous assura, de la part de Télal, que l’affection et les
regrets de toute la cour nous suivraient dans notre périlleux
voyage; notre entretien se prolongea jusqu’à une heure assez
avancée, car nous échangions une foule de demandes et de réponses
qui n’avaient d’autre but que de retarder le moment douloureux
de la séparation.
Notre ami venait de se retirer, quand Zamil arriva suivi de
son nègre Soueylim, qu’il laissa devant la porte de la rue. Il
demeura longtemps avec nous, parla, dans les termes les plus
affectueux, du concours dévoué qu’il était prêt à nous offrir
dès. que les circonstances permettraient de réaliser nos desseins ;
il nous recommanda de nouveau une grande prudence, nous signala
les périls qui nous menaçaient dans le Nedjed et enfin nous
fit promettre d’écrire à Télal pour lui apprendre notre situation
à Riad, mais en ayant soin d’employer des expressions qui parussent
se rapporter à la médecine, afin de déjouer l’espionnage
wahabite. Nous le priâmes d’assurer Télal de notre confiance
absolue dans sa parole et de notre entière discrétion. Nous nous
embrassâmes et il partit à la lueur des étoiles.
Le lendemain avant le jour, Moubarek se présentait à notre
porte avec un autre de ses compatriotes, nommé Dahesh. Malgré
l’heure matinale, quelques-uns de nos amis avaient voulu nous
accompagner jusqu’à la sortie de la ville. Nous montâmes sur les
chameaux que le guide avait amenés, et, tandis que la plaine
s’éclairait des premiers rayons du soleil., nous franchîmés la
porte voisine du marché. Là, nous dîmes un dernier adieu à la
cité d’Hayel ; c’était le 8 septembre 1862.