
était devënu pour moi une seconde langue maternelle. D’ailleurs,
je me proposais bien plus d’étudier les hommes que la te rre elle-
même; l’état moral, intellectuel, politique des Arabes formait
le principal objet de mes recherches, et je n ’accordais qu’une
attention secondaire aux phénomènes naturels. Je m’efforcerai
néanmoins de joindre à ma relation les aperçus qu’il m’a été
possible de réu n ir sur l’archéologie, la botanique, la géographie
et la météorologie, tout en reg re ttan t de ne pas les donner plus
complets. J ’ai rapporté aussi plusieurs cartes qui, si elles n’ont
pas l’exacte précision que l ’emploi des instruments mathématiques
peut seul assurer, serviront du moins à faire connaître les
divisions des provinces, les principales villes et la configuration
générale du pays.
Peut-être le lecteur demandera-t-il quel a été le but spécial,
les raisons déterminantes de ce long et périlleux voyage. L’espoir
de contribuer au perfectionnement social de ces vastes ré gions,
le désir d’aviver l’eau stagnante de la vie orientale p a r
le contact du rapide courant européen, p eu t-ê tre la curiosité
bien naturelle d’apprendrè ce que n u l ne sait encore, l’esprit
d’aventure inné chez les Anglais, voilà quels ont été les principaux
mobiles de mon entreprise. J ’ajouterai qu’à cette époque
j ’étais lié avec l’ordre des Jésuites, si célèbre dans les annales
de la philanthrophie courageuse et dévouée ; enfin, je le reconnais
avec une vive gratitude, les fonds qui m ’étaient nécessaires
m’avaient été libéralement fournis par l’Empereur des Français.
Il est fort important de nous former des idées vraies, d’acqu
érir des notions précises sur des peuples que les événements
tendent à rapproche r d e nous chaque jo u r davantage,
ë t dont la Providence p a ra ît avoir remis les destinées entre
nos mains. Les opinions qui ont cours en Europe au sujet
des Orientaux, sont en général, je regrette de le dire, fausses et
exagérées ; les voyageurs, influencéspar les préjugés nadonaux,
trop remplis de leurs propres opinions, n’ont pu apprécier sainement
l ’é ta t intellectuel et moral des nations étrangères, et se
sont bornés à une observation superficielle ; de l’a u tre , les
poètes ont répandu sur la vie monotone de l’Orient les brillantes
couleurs de leur imagination enthousiaste. Tous mes efforts
ont donc tendu à dissiper cette erreur, à présenter sous son
vrai jour la situation politique, sociale e t religieuse de la race
arabe, telle du moins qu’elle m’est apparue dans un séjour de
plus d’une année. Si j ’ai été assez heureux pour réussir dans
cette tâ che, je ne demande pas d’autre récompense. Les considérations
que je présenterai sont applicables, non-seulement aux
tribus de la Péninsule, mais encore à d’autres nations orientales
qu’elles aideront à mieux comprendre, ca r l’Egypte, la Syrie,
et même l’Anatolie, le Kurdistan e t la Perse ont subi l’influence
du génie arabe, ont été profondément modifiés p ar la colonisation
arabe. Quiconque co n n a îtra bien les causes de la prospérité
et de la décadence de la Péninsule, au ra plus aisément la
clef des transformations successives de l’Empire Ottoman, et des
gouvernements asiatiques. En outre, une telle étude fera voir à
l’oeuvre cette étrange conception de l’esprit h um a in , le mahométisme,
ou pour parle r d ’une manière plus correcte l ’islamisme
et permettra d ’en toucher du doigt les résultats. J ’appelle
tout particulièrement su r ce point l ’attention de ceux qui
en Orient et en Occident, sont disposés à accorder au Prophète
une foi aveugle ou une admiration passionnée.
Quant à l’exactitude des données historiques contenues dans
cet ouvrage, et relatives, soit au passé, soit à l ’é ta t actuel de
l’Arabie, j ’ai toujours eu soin de distinguer les faits dont j ’ai pu
constater p a r moi-même la vérité, de ceux qui étaient de simples
conjectures ou qui m’avaient été racontés p a r les habitants du
pays, avec les exagérations ordinaires en pareil cas. Pour les p r e miers,
je réclame la confiance entière à laquelle a droit un
homme d ’honneur, lorsqu’il dit : « J ’ai vu de mes yeux, j ’ai en tendu
de mes oreilles. » J’abandonne les seconds à l’appréciation
éclairée de mes lecteurs, espérant toutefois que, dans les cas
douteux, mes longues années d ’études et d’observation, mes
rapports fréquents avec les Orientaux, feront pencher la balance
en ma faveur; je n ’ai cependant pas la prétention d ’imposer mes
théories aux personnes qui croiraient avoir des raisons pour