
meure à un baron féodal, mais abandonné aujourd’hui au chef,
ou plutôt au principal fermier du village. Nous nous lavâmes le
visage, les mains et les pieds, — notre bagage, cela va sans dire,
ne renfermant aucun de ces articles de toilette essentiellement
européens qu’on appelle des bas, — puis nous nous dirigeâmes
vers le château, sûrs d’y trouver toute prête une tasse de café.
Le n a ïb , comme il convenait à son rang, s’assit auprès du
maître de la maison; quant à nous, éclipsés p a r la grandeur du
h au t dignitaire persan, nous prîmes modestement des places
moins enviées. Un grand nombre de paysans vinrent dans le
khawah pour regarder curieusement les étrangers et prendre
p a rt à la collation matinale, après laquelle notre hôte, qui était
aussi bailli de Mohanna, nous invita gracieusement à venir tous
déjeuner dans le ja rd in du gouverneur.
C’était u n verger délicieux, où les figuiers et les orangers se
mêlaient aux grenadiers, où les dattes et les pêches sollicitaient
l ’appétit du promeneur ; il était sillonné de cours d’eau bordés
de pie rre, d’allées ombreuses disposées avec plus de goût e t de
symétrie que les Arabes n’en déploient d’ordinaire. Sous un
bouquet de palmiers étaient étendus de moelleux tapis, et pend
an t que se préparait un repas plus solide, on nous servit des
melons pour faire prendre patience à nos estomacs affamés. Le
naïb exhiba une tasse à thé qui n’aurait pas déparé un élégant
boudoir anglais, puis un narghilé monté en argent du plus admirable
travail. Il avait recouvré sa bonne humeur, e t ses satellites
l ’imitaien t, non que ces êtres grossiers suivissent en
to u t l’exemple de le u r maître ; véritables ours mal léchés, ils
é taient souvent maussades et querelleurs pour leur propre
compte, quoiqu’ils fussent plus souvent encore bruyants et licencieux.
Ils avaient avec le Naïb lui-même de violentes disputes
qui, fort amusantes pour les spectateurs, variaient un peu
la monotonie de nos journées. En ce moment, charmés par
la perspective d’u n succulent déjeuner, ils faisaient des efforts
méritoires pour se m o n tre r aimables. Abou-Eysa était trop h a bitué
à de semblables caractères pour être facilement impressionné;
il conservait en toute occasion son calme et sa gaieté
inaltérables; mais plus d’une fois, causant familièrement avec
nous, il laissa échapper des remarques piquantes su r la mauvaise
éducation des Persans.
Notre guide cependant avait à conclure avec le Naïb une affaire
secrète qui nécessitait entre eux de. longues e t fréquentes
conversations. Le lecteur se souvient sans doute q u ’Abou-Bo-
teyn, l ’agent de Feysul, après avoir pillé la caravane confiée à
ses soins, et dépouillé notre ami Abou-Eysa, s’était soustrait
au châtiment par la fuite. Sa disparition laissait vacant u n
emploi lucratif, qui convenait parfaitement à notre guide. Les
Persans, de leur côté, le tenaient en haute estime, à cause de sa
tolérance e t de sa probité bien connues. Le Naïb enfin, étranger
à la cour du Nedjed, avait besoin d’un appui et d’un conseiller
pour obtenir la satisfaction qu’il venait demander. En conséquence,
il fut convenu entre lui et Abou-Eysa que ce dernier
emploierait son crédit pour disposer favorablement en faveur de
l’envoyé persan les ministres de Feysul et lui obtenir une au dience
particulière de l ’autocrate wahabite, ce qui n’était pas,
ta n t s’en fa u t, chose facile. En échange de ces bons offices,
Mohammed-Ali s’engageait à exiger du gouvernement nedjéen,
comme condition sim quâ non de l’abandon de ses griefs, qu’A-
bou-Eysa fût nommé guide unique des pèlerins persans dans
le Nedjed. Ce plan, longtemps discuté, fut enfin admis, et l’on
convint de toutes les mesures à prendre pour en assure r le
succès. Nous verrons, avant de quittter Riad, ce qui arriva des
beaux projets de nos diplomates.
La matinée était déjà fort avancée quand le mouton, victime
offerte à notre appétit p a r la largesse de notre hôte, fut servi
avec l’accompagnement obligé de riz , d’oeufs et de légumes.
Nous fîmes largement h onneur au festin, e t après nous être
entretenus quelques instants avec le lieutenant de Mohanna,
nous prîmes congé de lui pour continuer, réconfortés et joyeux,
notre route vers l’Orient.
Nous étions encore dans le Kasim, dont nous traversâmes les
plateaux avant le coucher du soleil ; un paysage immense, pittoresque
et accidenté s’ouvrait devant nous ; il était parsemé de
petits groupes d arbres semblables aux détachements isolés
d’une armée en campagne, et si une rivière, ce desideratum de
1 Arabie, avait serpenté dans cette riche province, on au ra it pu
se croire transporté pour un moment su r les bords du Rhin. Il
ne faudrait pas croire cependant que la verdure fût aussi luxuriante
qu’en Allemagne ou en Hollande, mais la campagne of-
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