
chrétien, ni d’un mahométan ; ili tenait de chacun de ces types-
et pourtant n’appartenait à aucun; il avait des traits virils., mais
empreints de cette délicatesse demi-féminine d’expression que
l’on remarque dans les portraits de Nelson et de ltodnev; sa
conversation était celle d’un homme intelligent, e t cependant
elle trahissait une grande ignorance. Son dialecte me rappelait
parfois la Syrie, parfois le désert; j ’y rema rqua is su rto u t J ’ab-
sence de ces phrases stéréotypées que les mahométans, même
les moins religieux, mêlent à tous leurs discours. Mes lecteurs-,
instruits de ce que nous apprîmes seulement plus tard, peuvent
se rendre compte, p ar la vie accidentée d’Abou-Eysa de la r ichesse
de cette nature complexe. Sur beaucoup de points il; était
original, son caractère résu ltait plus encore de ses dispositions
natives que des circonstances dans lesquelles il s’était trouvé.
Une vie errante n’est pas assurément une école de morale dans
la conduite privée, ni de probité dans les transactions; cepend
ant Abou-Eysa possédait ces deux qualités à un degré qui excita
it l’admiration de beaucoup de personnes, la moquerie de
quelques-unes et l ’étonnement de tous. N ul n ’avait entendu sortir
de sa bouche u n de ces grossiers jeux de mots communs
parmi les Arabes les mieux élevés, et sa vie n’était pas moins
irréprochable que son langage. Aucun soupçon ne l’avait jamais
effleuré ; malgré sa richesse,, ses longs voyages e t l’entraînement
de l’exemple, il était constamment demeuré fidèle à son unique
épouse. Sa loyauté dans- les affaires d’argent n’était p a s moins
reconnue ; jamais il n’avait manqué au payement d’une dette,
et chacun rendait hommage à la scrupuleuse exactitude avec
laquelle il remplissait ses engagements. Sa droiture personnelle
le p o rta it à ju g e r favorablement d’autrui ; bien que plus
d’ûne fois des agents-infidèles-eussent trompé sa confiance; ces
mécomptes ne l ’avaient pas rendu plus p rudent, l a perfidie d'un
fripon ne devant p a s , d isa it-il, fempêcher d’avoir foi dans ses
nouveaux amis. Une intimité prolongée pendant plusieurs mois,
et dans des circonstances très-p é rilleu se s, me permit de mettre
à l’épreuve le coeur et le caractère d’Abou-Eysa ; aussi me suis-je
complu à tra c e r son portrait.
Barakat et moi, nous pensâmes d’abord que cet homme singulier
devait être natif d’Homs e t avoir reçu une éducation chrétienne.
Mais quels événements l’avaient je té hors de son pays?
Quelques mots qui lui étaient échappés nous avaient faitcroire
que; son expatriation datait de l’insurrection d’Àlep;. su r ce-
point, nous avions, deviné juste,.quoique nous eussions été moins
heureux, dans nos autres suppositions.
Abou-Eysa, de son côté, nous observait avec attention. Connaissant
les- moeurs et les usages des, nations, occidentales, il
avait découvert promptement une partie de la vérité; en un
mot, il se doutait que j ’étais un explorateur européen, sans pouvoir
préciser toutefois Aquel pays j ’appartenais. Pour confirmer
ses conjectures, il, tenta, de sonder adroitement le terrain,,
amena l’entretien sur la Syrie, et sur l ’Egypte, p u is émit
son opinion su r l’influence des, puissances, occidentales, , su r
la politique de Paris et de Londres, Je m’efforçai de: faire
bonne, contenance., e t de para ître d’une parfaite indifférence.
Enfin il se rejeta sur la médecine, science que nous possédions
assez, Barakat et moi, pour ne pas craindre ses questions. Cette
manoeuvre ne nous, avait réussi qu’en partie auprès de Télal,
mais Abou-Eysa , plus simple de coeur que le prince shomérite,
abandonna sans peine sa première supposition pour nous croire
sincèrement les plus habiles, docteurs qui eussent jamais existé.
Son esprit enthousiaste et aventureux lui. suggéra aussitôt
l’idée d’un plan.que nous, ne crûmes pas, à propos de rejeter
prématurément. Nous nous établirions, disait-il, auprès de, lui
dans la province, d’Hasa; où, grâce à son crédit et à, notre savoir,
nous réunirions une, clientèle nombreuse; il m e ttra it sa fortune
h notre, disposition pour l’achat des; médicaments;, abandonnera
it, sa profession de, guide, et deviendrait notre; associé,; nous
exprimâmes vivement,la reconnaissance que nous inspiraient
ses offres, faites,avec, une franchise' touchante,Tous les arrangements
pris avec Barakat furent définitivement ratifiés, et notre
départ fixé à quelques jo u rs de là.
Le souper fut joyeux et, la conversation ne: languit pas un
instant. Quand Abou-Eysa- et le s Persans se re tirè re n t pour r e tourner
à leurs bagages, nos autres, convives nous félicitèrent
de: nous être, assuré un guide aussi intelligent e t un aussi a imable
compagnon. Tous, 1e, connaissaient, tous, ren d a ien t témoignage
de s a probité, quoique personne, ne p û t rien nous apprendre
su r son origine, e t les événements qui l’avaient amené
en Arabie.,