
mans, à peu près comme l’hermine, qui se cache dans la neige
pour se soustraire à la poursuite du chasseur. Un observateur
superficiel les confond aisément avec la population mahomé-
tane, et l’état actuel du pays ne justifie que trop les précautions
des malheureux chrétiens. Je ne m’étendrai pas davantage sur
ce sujet, il faudrait des volumes pour le tra ite r convenablement,
et la tombe d’Hatim n’est pas un lieu convenable pour une
telle discussion.
J ’aurais grandement souhaité de renouveler l’expérience faite
autrefois par le chef yémanite Akrimah. Ce prince, s il faut en
croire les chroniques arabes, suivit, lorsqu’il p a rtit de 1 Yémen
quelques années après la mort du célèbre Tayite, la même route
que nous parcourions en ce moment. Quand il fut arrivé auprès
du cairn qui s’élevait alors su r le lieu de la sé p u ltu re , il se
to u rn a en rian t vers ses compagnons : « On raconte, leur dit-il,
que, de son vivant, Hatimne renvoyait jamais u n hôte les mains
vides ; nous voici su r sa tom b e, nos provisions sont épuisées,
nous avons une longue route à faire avant d atteindre aucun
village; essayons si, mort, il ne nous viendra pas en aide. »
S’approchant de la tom b e , il s’écria d une voix railleuse .
« 0 Hatim ! Akrimah d’Yémen implore ta puissance ; mes amis
et moi, nous sommes accablés de fatigue, nous avons faim, ne
peux-tu nous secourir? » Puis s’adressant aux siens: « Hatim,
j ’en ai grand’p eu r, est devenu avare dans 1 autre monde, il ne
faut compter que su r nous-mêmes. » Tous, descendant de le u r
monture, campèrent auprès du cairn en se passant de souper ce
soir-là. Yers le milieu de la nuit, Akrimah se leva plein d’effroi
et appela le se rviteur qui dormait à l’entrée de sa tente. « P re nez
votre lance, lui dit-il, et venez avec moi ; il se passe ici
quelque chose d’étrange! Troisffois, Hatim m e s t apparu en
te n an t à la main une épée ruisselante de sang et m’a dit :
* Akrimah d’Yémen, vous et vos hommes serez mes hôtes cette
« nuit. Hâtez-vous d’aller auprès de votre chameau, car je lui ai
« fait une blessure m ortelle. » En achevant ces mots, il a disparu.
Tenez donc avec moi, e t sachons ce qui est arrivé. »
Ils se ren d iren t à l ’endroit ou les chameaux él aient ac croupis,
là, ils aperçurent le plus beau, celui qu Akrimah montait d ordin
aire , se débattant dans les convulsions de la mort. Le prince,
p o u r m e ttre fin aux to rtu re s de la pauvre bête, lui enfonça son
épée dans la gorge, puis il éveilla ses compagnons e t leu r dit
qu’ils avaient maintenant de quoi faire un repas abondant, bien
que ce ne fût pas exactement de cette manière qu’il eût voulu se
le procurer. Les Arabes allumèrent u n grand feu pour p rép a re r
le festin, a u q u e l i l s firent joyeusement honneur pendant le reste
de la nuit.
« Voilà pourtant une fâcheuse affaire; mieux eût valu laisser
Ilatim en repos, » disait le lendemain matin Akrimah, obligé,
faute de monture, d’emprunter le chameau d u n de ses serviteurs,
qu’il mit en croupe derrière lui. Les voyageurs se d irigeaient
lentement vers le nord, quand ils aperçurent une troupe
de cavaliers qui venaient à leu r rencontre. Celui qui p ara issa it
être leur chef menait p ar la longe un magnifique chameau, plus
parfait de formes et plus rapide encore que l’animal sacrifié la
veille. Après avoir échangé avec Akrimah les salutations d usage :
« Apprenez, lui dit l’inconnu, que je suis le fils d’Hatim. La
nuit d e rn iè re , mon père m’est apparu en songe et m’a parlé
ainsi : * Mon fils, Akrimah d’Yémen et ses compagnons se sont
^ présentés devant m a demeure, e t m’ont demandé l’hospitalité,
« mais je n ’avais à leur offrir aucun de vos aliments te rre s tre s.
« J ’ai été obligé de tue r le chameau d’Akrimah e t de faire man-
« ger à mon hôte la chair de sa propre monture pour te n ir lieu
« du repas que j ’au ra is voulu lui servir. Partez donc sans délai,
« prenez votre meilleur chameau, enfourchez votre plus beau
« cheval, celui qui était mon coursier favori, et allez trouver
« les voyageurs. Tous donnerez à Akrimah le chameau en
co 'échange du sien, et vous ajouterez à ce présent celui de votre
» cheval, afin que nul ne puisse accuser Hatim d’être m a in te -
« n an t moins libéral qu’il ne l’était de son vivant. » Le fils
d’flatim obéit aux ordres de son père, il fit monter Akrimah su r le
noble coursier, puis marcha devant lui, en te n an t 1 animal par
la bride, ju sq u ’à ce que les étrangers fussent arrivés dans le
Djebel-Shomer. Là, il les conduisit dans sa maison et leu r donna
l ’hospitalité pendant plusieurs jo u rs.
Peut-être aurions-nous été moins heureux qu’Akrimah si
nous avions sollicité cette générosité d’outre-tombe ; nous ju geâmes
plus prudent de trave rser sans retard les collines basses
qui sont en quelque sorte u n prolongement du Solma, et les
derniers rayons du soleil couchant empourpraient encore 1 ho