
réglées, le roi emmena comme otages quatre des notables de
la ville, déclarant qu’il les rendrait responsables des révoltes de
leurs compatriotes.
Depuis lors, Hamoud et ses trois conseillers gouvernent la
province. La guerre civile a cessé de désoler le Djowf, la
khouwah n’est plus prélevée par la tribu des Rualas et, en
retour de la paix et de la sécurité qu’il assure, Télal se contente
d’un impôt modéré ; la richesse publique se développe ; les habitants
, qu’une longue licence avait fait descendre presque au
niveau des Bédouins, acquièrent des moeurs plus douces, s’adonnent
au commerce et à l’industrie. Ils apprécient ces avantages;
aussi leur propre intérêt, plus encore que la crainte
inspirée par la puissance du Djébel-Shomer, les détourne de
toute tentative d’insurrection, et les pousse à supporter sans
murmure le joug d’un prince étranger.
Ces descendants de Taï, si telle est véritablement leur origine,
sont richement pourvus de ces dons extérieurs dont on a dit
avec justesse qu’ils sont méprisés par ceux-là seulement qui ne
les possèdent pas. Grands et biens faits, ils ont des traits réguliers,
une physionomie intelligente, de longs cheveux noirs et
bouclés, un maintien noble et imposant; on retrouve en eux le
pur type ismaélite, et pour la grâce, la force, la beauté, ils ne
le cèdent à aucun des habitants de la Péninsule, ceuxduDjebel-
Shomer exceptés. Leurs membres admirablement proportionnés,
leur expression pleine de franchise forment un contraste frappant
avec la petite taille, le regard soupçonneux et timide du
Bédouin. Les Djowfites ont aussi une santé robuste, et gardent
jusque dans un âge avancé l’activité de la jeunesse. Il n’est pas
rare parmi eux de voir un homme de soixante-dix ans monter à
cheval, prendre ses armes et marcher au combat; les provinces
du sud n’offrent pas, à la vérité, moins d’exemples de cette verte
vieillesse ; la salubrité du climat, la sobriété, l’habitude de vivre
au grand air contribuent puissamment à maintenir la vigueur
des Arabes.
De même que le Djowf occupe une position intermédiaire
entre le désert du nord et le plateau central de l’Arabie, ses habitants
tiennent le milieu entre les Bédouins incultes et les populations
sédentaires. Gomme le nomade, ils ont une aversion
profonde pour les arts mécaniques, sont indifférents aux choses
de l’esprit, capricieux, frivoles, parfois même perfides. Quoique
bien supérieurs aux Sherarat sous le rapport de l’aisance
et de la dignité des manières, ils sont loin d’égaier encore
les Arabes du Shomer et du Nedjed, de l’Hasa et de l’Oman
pour la culture intellectuelle, la politesse noble et gracieuse.
D’un autre côté, leur amour de la propreté et d’une certaine élégance,
leurs talents agricoles, leur intelligence, l’aptitude qu’ils
montrent pour le commerce, leur désir d’instruction et de progrès,
les rendent dignes de figurer à côté des autres habitants des
villes. Ils étaient autrefois, s’il faut en croire les annales de Taï,
une des tribus les plus civilisées de la Péninsule, et l’on peut
espérer aujourd’hui leur voir reprendre le rang qu’ils ont
perdu par suite de la guerre civile et des factions, par suite
aussi de l’influence démoralisatrice des clans sauvages qui les
entourent.
Le lecteur se souvient peut-être de la rencontre que nous
avions faite dans les gorges du Djowf ; plusieurs cavaliers arabes,
s’étaient montrés tout à coup sur les rochers qui bordaient le
défilé, l’un d’eux avait questionné notre guide, et après avoir
consulté ses compagnons, nous avait dit de continuer notre
route sans rien craindre. Il se nommait Suleyman, c’était un
jeune homme intelligent et audacieux, avec lequel je, me liai assez
étroitement pendant mon séjour dans le Djowf. Un jour, au
milieu d’une conversation amicale :
« Savez-vous, me dit-il en plaisantant, quel était le sujet de
notre conversation quand nous vous avons aperçus ? Nous nous
demandions s’il valait mieux vous faire bon accueil, et profiter
ainsi du bénéfice de votre résidence parmi nous, ou bien s’il
était préférable de vous tuer, pour nous emparer de vos bagages.
»
Je répondis avec calme :
« L’affaire aurait pu tourner mal pour vous et pour vos amis;
la chose serait probablement venue aux oreilles du gouverneur,
et il vous aurait dépouillés de votre butin.
— Bahl nous lui aurions fermé la bouche avec un présent.
— Bédouins que vous êtes ! m’écriai-je en riant.
— Vous avez raison, reprit Suleyman d’un air sérieux, nous
étions des Bédouins il n’y a pas longtemps encore, et le régime
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