
nous avons suivi, sur notre mode de voyager, déplore les habitudes
grossières, les moeurs sauvages des Bédouins, et témoigne
une vive sympathie p o u r nos souffrances dans le désert. Puis,
il fait tomber la conversation su r la médecine qu’il a quelque
peu étudiée', vante la science des Esculapes de Damas ; en un
mot, ne néglige rien pour nous mettre à l’aise et gagner notre
confiance.
Sa physionomie à lafois intelligente et cordiale inspirait la sympathie.
Il pouvait avoir environ cinquante ans, mais il conservait
encore la vigueur e t la vivacité de la jeunesse ; son teint mat et
uni n’était guère plus foncé que celui des Italiens. Il avait les
yeux grands et pleins de f e u , les traits réguliers; à vingt ans, il
devait être remarquablement beau. L’âge avait aujourd’hui un
peu courbé sa taille h aute e t fière; son costume soigné, quoique
fo rt simple, le bâton cerclé d’argent q u ’il portait au lieu d’épée,
to u t en lui révélait le savant, le litté ra te u r, ou du moins
l ’homme in stru it et de noble naissance. Le fin sourire qui re le vait
légèrement les coins de sa bouche annonçait u n caractère
habituellement gai, et tempéraient l ’expression pensive de son
large front et de son reg a rd observateur.
Abdel-Mahsin appartenait à l ’ancienne et illustre famille des
Aleyan, chefs de district de Bereydah, dans le Kasim. 11 avait obten
u la confiance de ses concitoyens et s’était même concilié
l’amitié de Khurshid-pacha, à l ’époque où ce gouverneur administrait
la province au nom du vice-roi d’Égypte. Bien qu’il
évitât de prendre une p a rt ostensible aux affaires politiques, et
qu’il p arut se consacrer entièrement à la culture des le ttres, il
était en réalité l ’âme de tous les complots qui se tramaient
pour délivrer le pays de l ’occupation étrangère. Nous raconterons
plus ta rd comment les habitants de Kasim, secondés par
les Wahabites, s’affranchirent du jo u g égyptien, mais pour
tomber sous une domination plus tyrannique en co re , celle de
leurs prétendus libé rateurs. Abdel-Mahsin, s’apercevant du
triste résultat de ses efforts, travailla en secret à ru in e r la puissance
des oppresseurs de sa patrie. La conspiration fut décou-
couverte; la famille des Aleyan, livrée p a r trah iso n au roi du
Nedjed, p é rit sous le glaive du bourreau. Abdel-Mahsin, échappé
au massacre, se cacha p en d an t quelques mois dans les montagnes,
puis, voyant qu’il ne pouvait sans risquer sa vie, revenir à
Bereydah, il se réfugia près de Télal. Depuis dix ans il habite le
p alais, d’abord à titre d’h ô te , puis d’ami et de conseiller du
prince; son élégance naturelle, sa gaieté, le charme de sa conversation
rendent sa présence indispensable à son protecteur
dans les heures de loisirs ; la sagesse de ses av is, la finesse de
son jugement ne sont pas moins appréciées quand il s’agit de
discuter les affaires de l’État. L’année suivante, mon compagnon
et moi, nous revenions en Europe ; pour dissiper l’ennui d’une
longue route au milieu de la plaine monotone de Mossoul, nous
repassions, dans notre mémoire les divers incidents de notre
voyage, et nous tombâmes d’accord que, de Gaza ju sq u ’à Ras-
el-Hadd, nous n’avions rencontré aucun Arabe qui fût supérieur
à Abdel-Mahsin, sous le rap p o rt des dons nature ls et de
la culture de l’esprit.
J’avais deviné, dès ses premières p a ro le s, q u ’il é ta it envoyé
par le roi pour nous sonder adroitement et connaître nos desseins.
Je me tins donc su r mes g a rd e s, me b o rn an t à p a rle r de
la Syrie, de Damas, de ma profession médicale, e t affectant une
ignorance complète au sujet de l’Europe. Mais il me fallait à
mon to u r éclaircir mes d o u te s, et amener la conversation su r
Télal, son système de gouvernement, l’état politique du pays.
Les réponses d’Abdel-Mahsin fu ren t n atu re llemen t réservées,
néanmoins elles nous apprirent plusieurs faits très-im portants
pour nous et que nous ignorions totalement. Des renseignements,
recueillis plus tard, complétèrent ces indications, et
avant de continuer mon r é c it, il me semble opportun de p r é senter
ici un court exposé de l’origine, de la prospérité e t des
progrès du Djebel-Shomer.
Afin de justifier aux yeux de ceux qui p ourra ient rega rde r
comme ne mé ritant pas même u n faible souvenir l’histoire d’un
petit pays peu connu au delà des limites de la Péninsule, e t isolé
presque complètement p a r sa ceinture de d é se rt, je prendrai la
liberté de m’ap p ro p rier les paroles par lesquelles l ’au teu r de
Waverley termine le cinquième chapitre de cet admirable ro m
a n , et j ’en reproduirai les te rm es, saufs quelques légers
changements exigés p a r la différence du sujet. « Je demande
pardon, une fois pour to u te s , à ceux de mes lecteurs qui, dans
un voyage, n’o n t en vue que le plaisir, de les fatiguer si lo n g temps
avec l’histoire de l’A rabie, les Bédouins et les Wahabites,