
avantage pour tous. A deux lieues de là, s’élève la petite localité
de Thomeyr, plus riche en ruines pittoresques q u ’en maisons
spacieuses et confortables. Tout auprès, se dresse un grand roc
blanchâtre, couronné autrefois p a r une forteresse dont les débris
nous prêtèrent leur ombre pour la halte du déjeuner. Barakat
et moi, nous résolûmes de chercher fortune dans le village; la
porte de la ville était ouverte, aucun gardien ne se présenta pour
demander qui nous étions; nous prîmes au hasard une ruelle
silencieuse, et traversant des monceaux de décombres, nous arrivâmes
su r une place déserté. Pas un habitant, pas la moindre
apparence de café, de dattes et de lait dans cette cité de la mort.
Enfin, nous avisâmes u n homme dont le visage décharné rappelait
l’apothicaire de Roméo; nous nous approchâmes de lui, non
sans une crainte secrète, et nous le priâmes de nous apprendre
dans quel endroitnous pourrions nous procurer quelques comesr
tibles, soit pour l’amour de Dieu, soit pour de l’argent. Il s’excusa,
— en vérité, cela était peu nécessaire, — de ne pouvoir
nous offrir lui-même ce que nous demandions, * mais, ajouta-
t-il, je sais une maison où l’on vous donnera de bonnes choses ; »
là-dessus, il se mit en marche en nous faisant signe de le suivre.
Il nous conduisit en effet devant une habitation un peu moins
dévastée que les autres ; la porte était fermée ! Nous frappâmes
avec l’énergie que donne un estomac aux abois, personne ne vint
ouvrir. Suivant alors l ’exemple hardi de notre conducteur, nous
escaladâmes les murs en ruines et nous nous trouvâmes au milieu
d’une cour solitaire. « Tout le monde est aux champs, excepté
les femmes, » dit notre guide d’un a ir de désappointement.
Désespérant de rien trouver dans le village, nous gravîmes une
tourelle qui faisait partie des fortifications extérieures et d’où
la vue s’étendait au loin. A quelque distance se trouvait un bos-,
quet de magnifiques palmiers, ils devaient porter d’excellentes
dattes ; cette pensée releva notre courage, et nous nous acheminâmes
à trav e rs champs vers le nouveau paradis terrestre .
Hélas! il était entouré de hautes murailles, dont aucune porte,
aucune brèche ne facilitaient l’entrée. Pendant que, pareils à
l ’esprit des ténèbres dont parle Milton, nous errions autour du
ja rd in , objet de nos convoitises secrètes, sans pouvoir franchir
l’insurmontable barrière qui nous en séparait, un jeune garçon
Solibah, couvert de h a illo n s, vint à notre ren c o n tre , moitié
marchant, moitié dansant, selon l’habitude des gens de sa
tribu.
« Youdriez-vous nous dire de quel côté se trouve l’entrée de
ce bosquet?— * lui demandâmes-nous aussitôt. — Si cela vous
fait p la is ir, je vous chanterai une belle rom a n c e , nous ré pondit
il d un air moqueur. — Nous n ’avons pas besoin de
chansons, mais de d a tte s , car nous avons faim; où faut-il s’adresser
pour en avoir? — Si vous l’aimez mieux, je vais me
mettre a danser? » reprit le jeune drôle; et ria n t de n otre impatience,
il commença une sorte de polka sauvage. Enfin il daigna
condescendre à nous montrer le chemin, c’est-à-dire un endroit
où 1 é ta t du m u r rendait l’escalade plus facile. Avec une agilité
qui témoignait combien la manoeuvre lui était familière, le Solibah
grimpa aussitôt par-dessus la clôture ; nous le suivîmes,
quoique nos intentions fussent probablement plus honnêtes que
les siennes, e t nous nous trouvâmes à l’ombre des arbres, su r un
gazon bien vert dont un courant d'eau entre tena it la fraîcheur.
Le tendre jouvenceau, de sa voix la plus criarde , appela le
maître du jardin, qui ne ta rd a pas à paraître. C’était un homme
dans tout I éclat de la force e t de la jeunesse , comme Adam
lorsqu il était 1 heureux habitant de l’Éden.Nous redoutions un
accueil peu bienveillant, trop justifié du reste par la façon familière
dont nous nous étions introduits. Heureusement notre
hôte involontaire avait un bon n a tu re l; il nous salua poliment
e t nous offrit ses services. Quand il apprit que nous a r r ivions
de Damas, ses manières devinrent tout à fait cordiales; il
nous conduisit vers un petit berceau situé au fond d’une allée
ombreuse, et dans lequel nous trouvâmes un de ses cousins qui,
nous dit-il, avait voyagé d a n s le Skam. Mais au Nedjed « Sham »
a une acception aussi large que « Nedjed » dans les provinces
syriennes; notre nouvel ami n’avait pas franchi les limites
de la Péninsule ; il avait seulement parcouru la Route des pèlerins
ju sq u ’à Tabouk; cette excursion suffisait cependant pour
lui donner une grande réputation dans son petit village, et nul
ne songeait à mettre en doute ce qu’il racontait de Damas,
quoique en ré a lité , quinze jo u rs de marche séparent cette
ville du point le plus éloigné où il fût jamais parvenu. La conversation
ay an t ouvert les coeurs et disposé notre hôte favorablement,
il nous fit se rvir une collation composée de l a i t , de