
quels nous nous étions trouvés en rapport se montraient bienveillants
pour nous et souhaitaient de nous voir rester dans le
pays. Plusieurs marchands offrirent de nous associer à leurs
entreprises, plusieurs mariages nous furent même proposés, et
il nous fallut autant de courage qu’Ulysse pour résister aux
charmes de plus d’une brune Calypso. Ghatil lui-même était sincère
jusqu’à un certain point, car les Arabes, et c’est là une des
particularités de leur caractère, allient souvent une vive affection,
une générosité presque prodigue envers un ami, avec le
désir de le tromper et de lui faire conclure un marché désavantageux.
Mais comment nous rendre dans le Djebel-Shomer? Entre ce
pays e t le Djowf, s’étendent les dangereux passages appelés Ne-
foud, dans lesquels les plus hardis voyageurs de la Péninsule
redoutent de s’engager, su rto u t pendant les mois de juin et de
juillet. Bien petit est le nombre de ceux qui, en été, se hasardent
au milieu de ces sables brûlants. Chaque fois que nous demandions
à p a rtir : * Attendez que les dattes soient mûres, » nous
répondait-on invariablement. Or, les dattes mûrissent vers l’époque
où l’étoile de Soheyl (Canopus) apparaît dans le ciel, ce qui
correspond ici aux premiers jo u rs de septembre, et marque le
commencement de l ’année arabe.
A quoi nous résoudre ? nous ne le savions guère, seulement nous
étions contrariés au dernier point de la perspective d’un si long
reta rd , quand la Providence vint à notre aide et nous offrit une
occasion surdaquelle nous ne comptions pas.
Télal, après s’être emparé du Djowf, avait fait de cette province
la base de vastes opérations militaires. Il voulait étendre sa domination
su r les trib u s nomades qui habitent le désert, depuis
la Syrie au nord, ju sq u ’à la route des Pèlerins à l’ouest. La partie
la plus rapprochée de cet immense espace, est occupée par
les Bédouins S h erarat ; plus loin se groupent les trois puissantes
trib u s des Howeytat, des Teyaha, des Ruala, et plusieurs clans
moins considérables, tels que les Bishr et les Maaz. L’habile souverain
du Djebel-Shomer se contenta d’intimider ces derniers et
finit par négocier avec eux; mais il attaqua le s Sherarat ouvertement,
et l’année même de notre voyage, en 1862, il soumetta
it les Azzam, la dernière branche de la trib u qui eût conservé
son indépendance. Pendant que nous étions à Djowf, plusieurs
chefs de ce clan vinrent recevoir les instructions d’Hamoud, avant
de p a rtir pour Hayel où ils devaient prêter entre les mains du
roi leur serment d’allégeance. Le gouverneur les accueillit gracieusement
et les garda quelques jo u rs au château pour qu’ils
pussent se reposer de leurs fatigues. Plusieurs habitants du
Djowf, que des affaires appelaient dans le Djébel Shomer, devaient
se joindre aux Bédouins. Hamoud envoya aussitôt un de
ses serviteurs pour nous prévenir, ajoutant que si nous désirions
faire partie de cette caravane, il nous remettrait une lettre, adressée
à Télal lui-même, dans laquelle il l’informerait que nous
avions payé le droit d’entrée exigé des voyageurs etque nous étions
desétrangers respectables, dignesà tous égards desabienveillance.
Cet impôt prélevé à la frontière ne dépassant pas cinq francs par
personne, on ne peut se plaindre que ce soit acheter trop cher l’avantage
de ne pas avoir à s’occuper de passe-port. En présence du
gouverneur, nous conclûmes avec l’un de nos futurs compagnons
de route un marché par lequel il nous louait deux chameaux et
s’engageait à nous servir de guide, moyénnant une somme qui
certes n’était pas exorbitante, cent dix piastres, ou vingt francs
environ de notre monnaie.
Nous nous occupâmes sans re ta rd de notre approvisionnement
de dattes et de farine, nous fîmes rép a re r nos outres, re n tre r
les dettes arriérées, et nous attendîmes le moment du départ.
Nos amis cherchaient à nous dissuader de nous mettre en route
dans une telle saison ; comme nous ne pouvions leu r expliquer
les motifs d’une résolution aussi extraordinaire, notre obstination
à repousser leurs conseils semblait tout à fait incompréhensible;
ils finirent par la mettre su r le compte de notre origine : les
Syriens en général, et les habitants de Damas en particulier,
étant connus pour leur entêtement et leur esprit de contradiction.
Différentes circonstances nous empêchèrent de quitter Djowf
av an tle 18 ju ille t; c’était l’époque où les figues sont mûres, e t
les Arabes ne pouvaient s’étonner assez de nous voir entreprendre
un pénible voyage au lieu de jo u ir comme des êtres raisonnables
des biens que Dieu nous offrait. Ce fut Djedey, n otre nouveau
guide, personnage singulier, mélange hétéroclite du paysan e t
du Bédouin, qui vint dans la matinée nous av e rtir qu’il fallait
mettre la dernière main à nos bagages et nous préparer à partir
i — 6