
tiques ou leurs maisons pour respirer l’air frais du soir, s’en q
u érir des nouvelles et causer avec leurs voisins. Quelques-uns
portent des armes, signe de leur noble naissance ; d’autres ont
u n costume d’une simplicité austère, un regard sombre, une attitude
puritaine, ce sont des Wahabites venus du Nedjed. Au milieu
de la cour, ou même assis familièrement près de cette réu nion
d’élite on aperçoit un grand nombre de pauvres artisans,
facilement reconnaissables à leurs vêtements usés, à leurs traits
fortement accentués ; enfin, plusieurs Bédouins se font rem a rquer
p ar leurs costumes en lambeaux, leur a ir humble et rampant.
Parmi eux, les plus sauvages et les plus dégradés sont sans
contreditle s S herarat; ils paraissent bien inférieurs aux nomades
de la trib u de Shomer, qui prennent, dans leurs rapports fré •
quents avec les habitants des villes, u n légère te inture de civilisation.
Cependant nous étions devenus l’objet de la curiosité générale.
Les Arabes les plus rapprochés de nous, avaient commencé p ar
nous adresser les compliments d’usage, d’autres s’étaient joints
à eux, et un cercle épais se formait au to u r de nous. On nous accabla
it de questions, auxquelles nous faisions des réponses très-
laconiques. En ce moment, u n individu de taille moyenne, au
visage souriant, aux manières remplies d’urbanité, s’avance vers
nous. Son costume à la fois élégant et simple, ses salutations cérémonieuses,
son attitude dont la politesse n ’exclut pas un ce rta
in air d’importance, le long bâton qu’il tient à la main, to u t
son extérieur enfin annonce un officier du palais. C’est le chambellan
Seyf, chargé de recevoir et de présenter les étrangers :
« Que la paix vous accompagne, mes frères, nous dit-il avec cette
pureté d’accent et de langage qui caractérise les gens de cour; de
quel pays venez-vous? Puisse le bonheur suivre vos pas! »
Nous répliquons p a r une formule non moins polie et non moins
recherchée, puis nous lui apprenons que nous sommes des médecins
de Damas, car toute notre pacotille étant épuisée, nous
devions renoncer au commerce. * Et que désirez-vous dans
notre ville? Puisse Allah bénir vos entreprises !. » reprend Seyf.
» Nous souhaitons d’abord la protection du Dieu très-grand, et
ensuite celle de Télal. * Nous commencions, on le voit, à faire
quelques progrès dans la phraséologie arabe. Là-dessus le chambellan,
avec u n sourire p lein de bienveillance, entame l’éloge de
son maître, et nous assure que nous ne pouvions désirer un
protecteur plus généreux.
Mais hélas ! pendant que Barakat et moi, nous nous félicitions de
la bonne tournure que prenaient nos affaires,Némésis, la déesse
du malheur, n ’oubliait pas ses droits et amoncelait sur notre tête
des nuages menaçants. Rien n ’importait plus à notre sûreté que
de cacher notre origine européenne ; si l ’on eût découvert qui.nous
étions, non-seulement il nous aurait fallu renoncer à notre en treprise,
mais encore notre vie se serait trouvée grandement en
péril. Rien jusque là n ’avait trahi notre incognito, personne ne
nous avait reconnus, ni à Gaza, ni à Maan, ni au Djowf, et je me
croyais maintenant assez loin de Damas pour être à l’abri d’une
rencontre fâcheuse. J ’avais compté sans mon hôte; c’était dans
Hayel, presque sur les frontières du Nedjed, que je devais courir
le premier danger de ce genre.
J ’écoutais avec joie les paroles de Seyf quand to u t à coup,
à ma grande te rreu r, dans le milieu du cercle de curieux
qui m’entouraient j ’aperçus le visage trop connu d’un Syrien
avec lequel j ’avais eu six mois auparavant des relations fréquentes.
Cet homme, to u r à tour marchand, industriel, en tre preneur
de transports, pouvait avoir une cinquantaine d’années ;
il était rusé, actif, entreprenant, fort lié avec un grand nombre
d’Européens et, malgré cela, musulman zélé; en u n mot, habitué
à toutes sortes de gens, il ne devait s’en laisser facilement imposer
p a r personne.
Gomme je le regardais d’un a ir consterné, doutant encore
que ce fût lu i , il mit fin à mon incertitude en s ’approchant
familièrement de moi et en m’adressant, du ton dont on
parle à une vieille connaissance, de vives démonstrations d’amitié.
Je désirais de tout mon coeur l’envoyer..... bien loin d’Hayel,
mais je pensai n ’avoir rien de mieux à faire que d’ouvrir des
yeux étonnés, de lui rendre un froid salut et de garder le
silence.
Un malheur n’arrive jamais seul. Tandis que je cherchais à
me débarrasser de mon dangereux ami, un homme de h aute
taille, à l’aspect sinistre, écarta la foule en s’écriant : « Moi aussi
j ’ai vu cet étranger à Damas ! » Puis il nomma le lieu de la ren contre,
précisa la date, détailla les circonstances, desquelles il