
formaient un contraste frappant avec les traces d’anarchie que
nous avions observées à Djowf. Mais le sol est pauvre, et ses produits
d’une qualité fort inférieure. Un des caractères les plus
curieux de cette vallée est le singulier assemblage de sources
salines e t de courants d’eau p u re ; quelques mètres à peine les
séparent souvent les uns des autres ; ils sont disséminés au
hasard dans la plaine et para issent tous de même niveau.
Djobbah ressemble tellement à Djowf, que le lecteur me dispensera,
je suppose, d’en décrire minutieusement les maisons
e t les jardins. Tous les villages du Djebel Shomer, petits ou
grands, ont invariablement le même aspect ; ils offrent le même
mélange confus d’habitations et de cultures, de plantations et
de chemins de tra v e rs e , témoignant du même mépris pour les
fortifications et les moyens de défense; cela indique, après tout,
la sécurité dont ils jouissent, mais hélas! accuse aussi l’ignorance
complète de ce qu’en Europe nous appelons l’a rt, la
symétrie. Aucun Arabe du Nord n ’en a l ’idée la plus légère. Je
dis « aucun Arabe du Nord, » ca r dans l ’Hasa, l’Oman, le Ned-
jed méridional, les lois de l’architecture sont connues et
observées.
Le 25 juillet, nous quittâmes Djobbah pour en tre r de nouveau
dans le d é se rt; mais cette fois ce n’était plus le terrible Néfoud:
des arbrisseaux émaillaient la plaine sablonneuse ; çà et là, des
herbes, du gazon récréaient agréablement la v u e , et les collines
de sable, bien différentes de celles que j ’ai déjà décrites, se r é duisaient
à de simples ondulations dirigées du nord au sud,
selon les lois invariables de ce phénomène. Nous marchâmes
to u t le jo u r. A la tombée de la n u it, nous arrivâmes au bord
d’une large dépression en forme d’entonnoir où l’absence de
sable met à nu la base calcaire du sol ; des lumières qui b rillaient
dans la vallée profonde, annonçant la présence d’un
campement de Bédouins, nous invitaient à tenter d’obtenir un
souper substantiel av an t le repos de la nuit. Il n ’é ta it cependant
pas facile de descendre la pente escarpée; sa forme circula
ire, qui décrivait de nombreuses spirales, me rappe lait le
Maëlstrom, si admirablement décrit p ar Edgar Poe. Les Arabes
qui avaient allumé ces feux étaient des pasteurs de la trib u de
Shomer; ils nous offriren t de p artag er leu r repa s, et nous s e rvirent
u n bon plat de riz, au lieu de l’insipide samh ou du pâteux
djirishah. Ce changement de régime nous fut d’autant plus
agréable, qu’il attestait l’approche de la civilisation. L’endroit
où les tentes étaient plantées, abondamment pourvu d’eau, est
un des rendez-vous favoris des Bédouins.
On rencontre fréquemment au m ilieu du désert de semblables
dépressions du sol; elles sont répa rties d’une manière fort
irrégulière, e t je serais grandement embarrassé pour émettre,
au sujet de leur formation, une hypothèse quelque peu vraisemblable.
Leur vaste étendue les empêche d’être comblées
par le sable que soulèvent souvent les tempêtes. L’excavation dans
laquelle nous passâmes la n u it ne m e su ra it pas moins d un
quart de mille à sa partie supérieure, et sa p rofondeur,j en suis
certain, dépassait hu it cents pieds. Les gigantesques ondulations
de sable que l’on rencontre dans les Nefoud de l’Arabie
peuvent être attribuées au mouvement de rotation de notre
g lo b e , mouvement qui se communique imparfaitement à la
substance poudreuse et désagrégée répandue à sa surface. Mais
cette supposition n’explique nullement l ’existence des dépressions
capricieuses creusées p a r la n atu re dans le vaste désert ;
j ’en ai vu dans les Nefoud et dans le Dahna, au nord et au sud
de l’Arabie ; elles affectaient toutes la même forme, exactement
circulaire, et ne p ara issa ient dues ni à la n a tu re particulière
du sable, ni à aucun phénomène météorologique local.
Au point du jo u r, nous continuâmes notre ro u te , ren co n tran t
à chaque pas des chameaux et des chameliers, parfois des moutons
et des chèvres. Avant midi, nous avions quitté le désert et
nous faisions halte dans une grotte naturelle, creusée au milieu
d’u n rocher, premier contrefort de la chaîne du Djebel
Shomer. Ces montagnes ne ressemblent à aucune de celles que
j ’avais vues au p a rav an t; c’est un amas singulier de p ie rres et
de blocs de granit, dont les formes heurtées, fantastiques,
bizarres, p rê ten t un nouveau charme aux vastes vallées, aux
habitations pittoresques qui entrecoupent çà e t là leu rs masses
sombres e t rougeâtres. Vers la fin du jo u r, nous atteignîmes
Kenah, joli village dont les bosquets doivent le u r fra îcheur, non
plus comme ceux de Djowf, à des sources naturelles, mais à
une irrigation artificielle qu’alimente l’eau des puits. A quelque
distance des maisons s’élevait un groupe d’arbres sé cu la ires,
dont l’ombre épaisse s’étendait au loin. Ils sont ici l’objet d’une