
connaître que chaque ligne, chaque touche du p o rtra it odieux
qui vient d ’être tracé ont été pris au livre saint des musulmans.
Les contemporains ne nous ont laissé aucun doute su r les
opinions du Prophète, opinions qui sont longuement expliquées
dans les Commentaires de Beydawi, dans le Miskat-el-Mesabih et
autres ouvrages du même genre. Pour l ’édification des lecteurs
qui ne seraient pas en état de puiser aux sources mêmes des
dogmes islamites, je rapporterai ici une légende que j ’ai entendu
bien des fois raconter avec admiration par les Wahabites
fervents du Nedjed.
Quand Dieu, selon la tradition, — j ’allais dire le blasphème
arabe, — résolut de créer l ’espèce huma ine, il p rit entre ses
mains le limon qui devait servir à former l’humanité, et dans
lequel to u t homme préexiste; il le divisa en deux portions
égales, je ta l ’une en l’enfer en disant : * Ceux-ci pour le feu
éternel; » puis, avec la même indifférence, il je ta l’autre au
ciel en ajoutant : « Ceux-ci pour le Paradis. »
Tout commentaire serait superflu. Cette genèse nous donne
une ju ste idée de la prédestination, ou plutôt de la prédamnation,
telle que l’admet et l ’enseigne le Coran. Le paradis et
l’enfer sont choses complètement indépendantes de l’amour ou
de la haine de la Divinité, des mérites ou des démérites de la
créature. Il en ressort naturellement que les actions regardées
p a r les hommes comme bonnes ou mauvaises, louables ou
vicieuses, sont en réalité fort indifférentes; elles ne méritent
en elles-mêmes ni récompense, ni punition, ni éloge, ni blâme ;
elles n ’ont d’autre valeur que celle qui leur est attribuée par la
volonté arb itra ire du tout-puissant despote. Allah condamne
les uns à b rû le r pendant toute l ’étern ité dans une mer de feu, il
place les autres dans un ja rdin de délices où les attendent les
faveurs de quarante concubines célestes, sans avoir, pour faire
■cette répartition, d’au tre motif que son bon plaisir.
Tous les hommes sont donc abaissés au même niveau, celui
d’esclaves qui se courbent devant leu r maître. Mais la doctrine
égalitaire ne s ’arrête pas là. Les animaux partagent, avec
l ’espèce humaine l ’honneur d’être les instruments de la Divinité.
Mahomet a soin, dans le Coran, d’avertir ses sectateurs que les
bêtes de la te rre, les oiseaux du ciel, les poissons de la mer
sont, eux aussi, « des nations; » qu’aucune différence ne les sépare
des enfants des hommes, si ce n’est la diversité accidentelle
et passagère établie entre les êtres par le Roi, le Tout-Puissant,
le Géant éternel.
Si quelque musulman se révoltait à l’idée d’une telle association,
il pourrait consoler son orgueil p a r cette réflexion judicieuse
que d’un autre côté les anges, les archanges, les génies,
tous les esprits célestes sont confondus dans un pareil abaissement.
Il ne lui est pas permis de se croire supérieur à u n chameau,
mais il est l’égal des séraphins. Et au-dessus du néant
des êtres, s ’élève seule la Divinité : « La Ilah ilia Allah. » .
L’inconséquence humaine est souvent l’objet d’impitoyables
critiques ; pourtant elle épargne bien des Polies. Les esprits les
plus nobles partagent avec les plus vils cet heureux défaut qui
seul empêche le bien d’être trop rigide, le mal d’être excessif.
Nul ne conforme complètement sa conduite à ses théories, et
1 on ne saurait s’en plaindre ; si excellente que soit une doctrine,
elle ne s’adapte pas à toutes les circonstances, et si nous voulions
ne jamais nous en écarter, nous arriverions à l’absurde.
La même remarque s’applique à l’e rreu r et au mal ; les systèmes
les plus faux së rachètent par quelque v é rité , le coeur le
plus vicieux conserve quelque étincelle de vertu; personne, en
un mot, ne peut rompre complètement avec le bon sens e t avec
la motale. Aussi, dans l ’esquisse rapide que je viens de trac er
de 1 islamisme, ai-je seulement prétendu faire ressortir l’idée
principale, analyser les éléments essentiels du Coran; je n ’ai pas
tenu compte des principes meilleurs e t plus sains qui s ’y tro u vent
mêlés, parce qu’ils n’en forment pas une partie constitutive.
Le livre de Mahomet renferme, sans nul doutte, des
maximes hautes et pures, le Prophète redevient homme parfois,
et le Coran, sans y songer, descend des régions stériles où il
plane, pour p a rle r la langue de la raison et de la charité. Mais
après tout, quelques pages isolées ne prouvent pas plus en faveur
du mahométisme, qu’un vers faible perd u au milieu d’une
foule de beautés, ne fait passer Shakespeare p o u r un mauvais
poète, ou qu une pieuse boutade de Yoltaire ne placera le philosophe
de Eerney au nombre des défenseurs de l’Église.
Faute d’avoir réfléchi que la n u it même n’est pas complètement
dépourvue de lumière, quelques apologistes européens se
sont pris pour Mahomet d’une admiration qui au ra it bien