
mane avait commencé longtemps avant l’ère wahabite ; il date
de l’époque où les faibles successeurs de Dafim, incapables de
conserver les conquêtes de leu r ancêtre, laissèrent le Nedjed
échapper à leu r domination. La Mecque reconquit alors une
partie de son ancienne prééminence, et la piété des pèlerins
accumula dans ses temples les trésors qui, cent ans plus
ta rd, fournirent à Abdallah-ebn-Saoud un si riche butin. Au
Kasim, et au Kasim seulement, nous vîmes des mosquées
d’une date antérieure à la fin du dernier siècle; nous rem a rquâmes
aussi qu’elles étaient ornées de minarets, contrairement
à la coutume wahabite. Enfin, des prédications nombreuses,
une éducation toute musulmane impriment à la conversation,
aux manières des habitants un cachet particulier. Malheureusement
le voisinage et l’influence de La Mecque ont eu aussi pour
effet d’abaisser d’une façon déplorable le niveau de la moralité
dans le Kasim ; les vices les plus honteux s’y étalent avec une
impudence dont le Shomer et l’Ared n’offrent pas d’exemples.
La corruption profonde, qui à La Mecque et à Médine infecte
toutes les classes de la société, - je parle en connaissance de
cause — suffirait pour démoraliser des hommes plus fermes que
les Kasimites, e t les visiteurs de la Kaaba peuvent trop souvent
s’appliquer à eux-mêmes les paroles de l’Ovide a ra b e , Omar
ebn-Abi-Rabiah :
Te uartis avec l’espoir d’alléger le fardeau de mes fautes,
Et je revins chargé du poids plus lourd encore de mes transgressions
nouvelles.
Le soleil était déjà su r son déclin quand nous quittâmes 1 abri
des palmiers pour nous dirige r vers la ville d’Eyoun, où Foleyh
avait sans doute- employé l’après-midi à tu e r ses agneaux et à
■préparer le rep a s, opération qui demandait du temps et des
soins puisque n o tre hôte devait satisfaire l’appétit de tren te
voyageurs affamés. Notre caravane s’était depuis peu augmentée
de q u atre individus fo rt différents de nos autres compagnons.
Ils appartenaient à l’o rdre des derviches voyageurs; deux d entre
eux étaient natifs de Caboul, le troisième de Bokhara, le qu atrième
du Béloutchistan. Ce dernie r paraissait avoir une soixantaine
d’années, à en ju g e r p a r sa barbe blanche et les rides
de son visage; il était g ran d , fort maigre et entendait à peine
l’arab e ; ses trois compagnons, plus jeunes et plus vigoureux,
portaient néanmoins les traces des souffrances e t des fatigues
qu’ils avaient éprouvées pendant leur long voyage. Us s’étaient
rendus à p ied , du coeur de l’Asie jusqu’à La Mecque; et l’un
d’eux, le Bokhariote, nous assurait que son pèlerinage, quand
il serait de retour dans ses foyers, n ’au ra it pas duré moins de
deux ans, ce qui, du reste, n’a pas lieu de surprendre au milieu
de tels pays et sous un tel climat. Ils étaient tous revêtus du costume
particulier à leur profession, le grand bonnet conique, les
pantalons larges et flottants, le long manteau jeté su r les épaules.
Ils se disaient sunnites, et peut-être l'étaient-ils en effet; mais
il arrive souvent que les shiites pren n en t les insignes de la religion
dominante à La Mecque et dans les États voisins, pour ne
pas s’exposer à l’intolérance des habitants. Ces derviches, qui se
prétendaient disciples d’Ebn-Hanifah,,chef de l’une des quatre
grandes sectes orthodoxes, dont la doctrine est très-répandue
dans le Caboul, vivaient d’aumônes et paraissaient avoir une
dévotion sincère.
Personne d’entre nous, cependant, ne p a ru t charmé de les
avoir pour compagnons. En Arabie, les malheureux derviches
ressemblent fort à un poisson sorti de son élément; haïs des
Wahabites, ils ne sont guère mieux accueillis par le reste de la
population, qui voit en eux l’incarnation d’un système religieux
regardé avec indifférence, sinon avec mépris. Les nouveaux venus
furent donc l’objet de mainte remarque mordante, de maint
commentaire défavorable; mais enfin le nature l bienveillant
des Arabes re p rit le dessus, et les derviches furent admis à jo u ir
des bons offices rendus à chacun des membres de la caravane.
C’est donc pour un voyageur un fort mauvais calcul que de
joue r le rôle d’u n derviche mendiant, comme l’ont essayé plusieurs
Européens. Je n’envisagerai pas la question au p o in t de
vue moral; l’inconvenance de ce déguisement frappera d’elle-
même tous les esprits honnêtes. Feindre une croyance religieuse
qu’on ne partage pas, accomplir avec une exactitude scrupuleuse,
avec une ferveur affectée des pratiques qu’au fond du coeur ou
trouve fort ridicules, faire, des actes les plus'sacrés ét les plus
solennels, du culte que l’homme rénd à son c ré ateur une bouffonnerie
odieuse et prémédifêe, une' 'telle conduite Tévolte les
âines honnêtes1 é t su rtô ü t 1 es âmes ‘chrétiennes1. En piaffent aïnsi
j ’expose seulëmerit u n pnncipe général, et’je n é prétendis faire